Il y a alors un chemin sur lequel voyageront ensemble pendant longtemps toutes les personnes "sérieuses", "essentiellement soucieuse" de bonne volonté. Ce n'est qu'en arrivant presque à son terme que le chemin se sépare et qu'ils doivent s'écarter en désaccord. Pratiquement tout ce que, par exemple Rudolf Otto (78) définit comme des caractéristiques de l'expérience religieuse -- le sens; le sacré; le sentiment de créature; l'humilité; la gratitude et l'oblation; le remerciement; le respect face au mysterium tremendum; le sens du divin; l'ineffable; le sens de petitesse face au mystère; la qualité d'exaltation et de sublime; la conscience des limites et même d'impuissance; la tentation de se rendre et de s'agenouiller; le sens d'éternel et de la fusion avec l'ensemble de l'univers; même l'expérience du paradis et de l'enfer -- toutes ces expériences peuvent être acceptées comme réelles aussi bien par les membres du clergé que par les athées. Il est alors aussi possible pour eux tous d'accepter en principe l'esprit empirique et les méthodes empiriques, et d'admettre humblement que le savoir n'est pas complet, qu'il doit croître, qu'il est dans le temps et dans l'espace, dans l'histoire et dans la culture, et que, bien qu'il soit en rapport avec les capacités de l'homme et ses limites, il peut s'approcher de plus en plus près de "la vérité" qui ne dépend pas de l'homme.
Ce chemin peut-être parcouru ensemble par tous ceux qui n'ont pas peur de la vérité, non seulement par les théistes et les non- théistes, mais aussi par les individus de toute allégeance politique ou économique, les Américains et des Russes, par exemple.
Que reste-t-il du désaccord ? Seulement, semble-t-il le concept d'être surnaturel ou de lois ou de forces surnaturelles, et je dois confesser mon sentiment que lorsque cette séparation des chemin est atteinte, cette différence ne semble pas être d'une grande conséquence, sauf peut-être pour le confort de l'individu lui-même. Même l'acte social d'appartenance à une église doit être un acte privé, sans grande conséquence sociale ou politique, une fois le pluralisme religieux accepté, une fois que toute religion est considérée comme une structure locale, en termes locaux d'une expérience transcendantale, essentiellement religieuse relevant de l'ensemble de l'espèce.
Non seulement ceci, mais il se développe de plus en plus que les théologiens les plus en vue, et les personnes sophistiquées en général définissent leurs dieux non comme une personne, mais comme une force, un principe, une qualité-gestalt de l'ensemble de l'être, et un pouvoir intégrateur qui exprime l'unité et donc la qualité de signification du cosmos, la "dimension de profondeur", etc.. Au même moment, les scientifiques abandonnent de plus en plus la notion du cosmos comme une sorte de machine simple, comme une horloge ou des groupements d'atomes qui s'entrechoquent aveuglément, n'ayant d'autre relations les uns aux autres que la traction et la répulsion, ou comme quelque chose qui est final et éternel tel que c'est et qui n'évolue pas ou ne croît pas. (En fait, les théologiens du dix-neuvième siècle voyaient aussi le monde d'une façon similaire, comme un jeu inerte de mécanismes; sauf que pour eux, quelqu'un était là pour l'activer.)
Ces deux groupes (les théologiens sophistiqués et les scientifiques sophistiquées) semblent s'approcher de plus en plus près dans leur conception d'un univers "organique" ayant une certaine forme d'intégration, grandissant et évoluant et ayant une direction et donc ayant une certaine forme de "sens". Nommer cette intégration "Dieu" ou pas finit par être une décision arbitraire et être une indulgence personnelle déterminée par l'histoire personnelle de chacun, ses propres révélations personnelles et ses propres mythes personnels. John Dewey, un agnostique, a décidé à des fins stratégiques et de communication de conserver le mot "Dieu", le définissant d'une manière naturaliste (14). D'autres ont décidé de ne pas l'utiliser pour des raisons stratégiques. Cela quoi nous aboutissons est une nouvelle situation dans l'histoire du problème dans laquelle par exemple un bouddhiste "sérieux", qui se soucie de "questions ultimes" et avec la "dimension de profondeur" de Tillich, est plus coreligionnaire d'un agnostique "sérieux" qu'ils ne l'est d'un bouddhiste conventionnel superficiel, pour qui la religion est une habitude, ou une coutume, c'est-à-dire du "comportement".
Bien entendu, ces personnes "sérieuses" s'approche de si près jusqu'à suggérer qu'elles sont une même partie de l'humanité, les sincères, les capteurs, les sondeurs, ceux qui ne sont pas sûrs, ceux qui ont un "sens tragique de la vie", les explorateurs des profondeurs et des sommets, les "derniers sauveteurs". L'autre partie est alors faite de tous les superficiels, ceux qui sont attachés à l'instant, à l'ici, ceux qui sont totalement absorbés par le trivial, ceux qui sont "plaqués de piété, et non coulés dedans", ceux qui sont réduits au concret, à l'instantané, et à l'immédiatement égoïste.[1] Nous pourrions presque dire, nous nous retrouvons d'un côté avec les adultes et de l'autre avec les enfants.
Quel est le résultat pratique de toutes ces considérations pour l'éducation ? Nous aboutissons à une conclusion pour le moins surprenante, c'est-à-dire que l'enseignement des valeurs spirituelles, des valeurs éthiques et morales a (en principe) certainement sa place dans l'éducation, peut-être en fin de compte une place très basique et essentielle, et que ceci n'a en aucune façon besoin d'être opposé à la séparation américaine entre l'église et l'état pour la simple raison que les valeurs spirituelles, éthiques et morales n'ont rien à voir avec aucune église. Ou peut-être, pour mieux le dire, elles constituent l'essence commune de toutes les églises, de toutes les religions, y compris les non-théistes. En fait, il est possible que précisément ces valeurs finales soient et doivent être les buts ultimes de toute éducation, tout comme elles sont et doivent être les buts ultimes de la psychothérapie, de la garde d'enfants, du mariage, de la famille, du travail, et peut-être de toutes les autres institutions. Je reconnais que c'est peut-être là une exagération, et pourtant il y a là quelque chose que nous devons tous accepter. Nous rejetons la notion distante de valeurs-buts dans l'éducation au risque de succomber au grand danger consistant à définir l'éducation comme simple entraînement technologique sans relation à la bonne vie, à l'éthique, à la morale, ou à quoi que ce soit d'autre. Toute philosophie qui permet aux faits d'être amoraux, totalement séparées des valeurs, rendent possible au moins en théorie le médecin nazi "expérimentant" dans les camps de concentration, où le spectacle des ingénieurs allemands capturés travaillant avec dévouement pour le côté qui les a capturés.
L'éducation doit être vue au moins partiellement comme un effort pour produire de bons êtres humains, pour encourager la bonne vie et la bonne société. Renoncer à cela équivaut à renoncer à la réalité et à la désirabilité de la morale et de l'éthique. De plus, "une éducation qui évite d'aborder l'ensemble de la pensée transcendantale est une éducation qui n'a rien d'important à dire sur le sens de la vie humaine" Manas (17 juillet 1963).
Table des Matières
Appendice A