Un entretien avec 
Ken Wilber

Mes Détracteurs, l'Integral Institute, mes Ecrits Récents et d'Autres Question d'Intérêt Limité.

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I: LA FIN DE LA PSYCHOLOGIE TRANSPERSONNELLE

Shambhala: Il y a de nombreuses questions que nous aimerions couvrir, c'est donc peut-être mieux d'aller droit au but. Tout d'abord, votre démission du mouvement de la psychologie transpersonnelle. Cela a causé quelques remous. Vous êtes sensé être son principal théoricien et vous l'abandonnez.

KW: En fait, comme je l'ai déjà évoqué dans "A Summary of My Psychological Model" sur le site de Shambala, j'ai cessé de me considérer comme un psychologue transpersonnel en 1983. Je soupçonne que parce que je n'en ai pas dit grand-chose publiquement, peu de personnes se sont aperçues que j'avais en fait démissionné de ce mouvement il y a près de deux décennies. Mais c'était à l'époque une décision très difficile à prendre, bouleversante, et je ne l'ai pas prise à la légère.

Shambhala: Vous considérez-vous comme faisant aujourd'hui partie du mouvement transpersonnel?

KW: Non.

Shambhala: Pouvez-vous nous en parler? 

KW: La difficulté principale est que la psychologie transpersonnelle, pour son plus grand crédit, était la première école principale de la psychologie actuelle à prendre au sérieux la spiritualité. Et pourtant, parce qu'il y a de nombreuses divergences quand à ce qu'est réellement la spiritualité, il y a de nombreuses divergences  quand à ce qu'est réellement la psychologie transpersonnelle. Ce ne sont pas des tensions intérieures mineures comme l'on a pourrait par exemple en trouver dans les diverses écoles de psychanalyse ou la psychologie Junguienne. Ce sont au contraire des divisions internes majeures et des différents acerbes quand à la nature, la portée et au rôle de la psychologie transpersonnelle elle-même. Ceci rend le domaine truffé de schismes politiques et d'idéologies concurrentes. C'est je crois la raison pour laquelle en trois décennies, et hormis un ou deux théoriciens spécifiques, l'école actuelle de psychologie transpersonnelle n'a eu aucun impact significatif en dehors de la région de San Francisco, et se trouve aujourd'hui -- beaucoup de gens conviennent -- dans un déclin irréversible et final.

Ce qui reste des quatre forces (béhavioriste, psychanalytique, humaniste, transpersonnelle) ne survivra, si elles survivent, qu'en étant inclus dans une approche entièrement intégrale [ voir  "A Summary of My Psychological Model"  sections "The Death of Psychology and the Birth of the Integral," ]

Shambhala: Nous reviendrons plus tard à l'approche intégrale. Mais d'abord, quelles sont les factions principales de la psychologie transpersonnelle telle que vous la voyez ?

KW: Il y en a en fait quatre, avec de nombreuses variantes. 

Un, il y a le groupe magique-mythique (en utilisant ces mots dans un sens strictement Gebserien). C'est une dimension importante de la conscience humaine, et il doit être inclus dans n'importe quelle psychologie intégrale. Cependant, cela ne constitue pas, à mon sens, les extensions les plus élevées ou les plus profondes de l'être. Il me semble que cette approche tend donc à confondre les formes prérationnnelles mythiques et l'esprit postrationnel informe. Il tend souvent vers le New Age, le mouvement mythopoétique, et les divers romantismes qui rendent presque impossible d'établir des ponts avec la tendance générale.

Deux, il y a le groupe des états altérés, qui habituellement évite le développement, les stades, la pratique soutenue et regarde plutôt du côté des états non-ordinaires provisoires, souvent induits par des drogues ou la respiration. Cette position est souvent, mais pas nécessairement, couplée à un éco-primitivisme, à une louange ou à une exploration de la conscience tribale, qui prétend être "non-dissociée" (mais qui est plus probablement simplement "pré-différentiée"), et cet éco-primitivisme est accolé à l'utilisation étendue de psychotropes, souvent l'ayahausca. Je crois que l'existence des états altérés et provisoires est également une partie très importante d'une psychologie plus intégrale, mais pris seuls, ils conduisent à bien des difficultés, car la notion elle-même ignore d'autres aspects également importants de la psyché, ainsi qu'une énorme quantité de recherche qui ne peut pas être insérée dans un modèle d'états altérés. Cette approche finit souvent en une position de retour à l'Éden, et cette orientation rétro-Romantique rend également très difficile d'établir des ponts avec la tendance générale. Ainsi ce groupe, tout comme le groupe précédent, isole et exclut la psychologie transpersonnelle des courants généraux du monde, ce qui s'est en fait malheureusement produit.

Trois, souvent allié avec l'école des états altérés, mais conceptuellement distinct, est le groupe postmoderne, qui essaye de lire la conscience non-duale à travers la loupe du relativisme pluraliste, des critiques postmodernistes de l'universalisme, et des attaques occasionnellement intenses de la philosophie éternelle. Je crois qu'il y a beaucoup de vérités importantes dans cette approche postmoderne, mais pris isolément, elle mène également à beaucoup de problèmes, dont le moindre n'est pas la boomérite. [ pour une discussion sur la boomérite, voyez A Theory of Everything et l'introduction au volume 7 des Collected Works. ] L'auteur, ayant réprimandé tous les autres pour leurs universalismes détestables -- qui ont la réputation d'opprimer et de dominer les gens -- prétend alors que ses propres vues sur le relativisme s'appliquent universellement sur toutes les cultures et tous les peuples. Hmmmm. Quoi qu'il en soit, il y a quelques érudits très compétents à l'œuvre sur cette approche mème vert, mais je ne crois pas qu'ils aient ajouté quoi que ce soit de particulièrement nouveau au dialogue postmoderniste des trente dernières années. En fait, les critiques disent que "les postmodernes transpersonnels " n'ont fait que répéter ce qui sont devenus des clichés plutôt fatigués développés par d'autres théoriciens. Le problème, selon moi, est qu'ils ont en fait introduit une dose forte de contradictions postmodernes performatives dans la psychologie transpersonnelle et ont ainsi affaibli tout moment de conscience transcendentale authentique. Ceci, aussi, a peu fait pour rendre le domaine remarquable aux yeux du monde.

Shambhala: Selon ces critiques mème verts ou postmodernistes, la philosophie éternelle est censée être une source d'oppression à travers l'histoire.

KW: Oui, je sais bien, et la modernité est censée de même être le grand oppresseur. Mais je crois que cela démontre une compréhension plutôt limitée aussi bien de la philosophie éternelle que de la nature de l'oppression. Les oppressions vraiment brutales dans l'histoire ont été imposées par des gens comme Attila le Hun, Genghis Khan, Sargon d'Agade, Ramsès, et ainsi de suite. Ces gars-là n'ont pas souffert du paradigme Newtonien-Cartésien ; ils n'ont pas imposé au monde des cadres Kantiens; ils n'ont pas lu Plotin et n'ont pas appris par cœur la grande chaîne de l'être avant d'envahir et d'opprimer. S'ils ont fait quoi que ce soit, c'était de consulter leurs diagrammes d'astrologie et de taper sur les gens.

Le fait est qu'à travers l'histoire les vraies forces de l'oppression sont venues en grande partie de divers modes techno-économiques de production. Par exemple, la plus grande oppression sociale s'est généralement produite dans les sociétés horticoles avancées et les premières sociétés agraires, qui sont parvenues à asservir des civilisations entières, et qui ont existé bien avant n'importe laquelle des formes sophistiquées de la philosophie éternelle. Et de toute façon il reste vrai que l'idéologie suit la base, et non pas l'inverse. Le problème principal avec la modernité est qu'elle a permis à la conscience tribale de détourner la technologie moderne, et le résultat a été Auschwitz [ voir "The Terror of Tomorrow," ] Ces critiques postmodernistes voient à mon avis les causes de l'oppression exactement à l'envers, et d'une manière ou d'une autre, ils donnent une lecture curieusement sélective de l'histoire afin d'arriver à leurs conclusions.

Shambhala: À savoir, la méchanceté de tous exceptés les postmodernistes.

KW: [ rire ] Quelque chose comme cela. Bien que, pour certaines de ces écoles, le fait de fouiller la conscience ait été acceptable, une sorte de proto-unité, ce qui est encore une lecture suspicieusement sélective de l'évidence.

Mais regardez, j'ai inclus une grande quantité de pensée postmoderniste dans mon propre travail. Je suis un grand fan de plusieurs des grands auteurs postmodernes, en particulier Heidegger, Nietzsche, Derrida, Foucault, Gadamer, Wittgenstein (sur le tard). Vous pouvez trouver des pages des notes dans Sex, Ecology, Spirituality qui traitent longuement de leurs travaux. Et, si quelques citations intellectuelles prétentieuses ne vous dérangent pas, j'ai cité avec approbation des sections de Bataille, d'Althusser, de Lacan, de Barthes, de de Man, de Gramsci, d'Irigaray, de Bourdieu, de Jameson, de Kristeva, de Cixous, de Bachelard, de Baudrillard, de Deleuze, et de Lyotard. Boomeritis consacre plusieurs chapitres à leurs importantes découvertes. Les nombreuses contributions positives et même brillantes du postmodernisme sont récapitulées dans un chapitre entier dans The Marriage of Sense and Soul. Le quadrant entier Inférieur Gauche de mon travail est un hommage au génie postmoderne. Mais pris seul, le postmodernisme est un vrai cul-de-sac, un fait qui est maintenant largement reconnu (bien que personne ne semble vraiment savoir par quoi le remplacer). Et une fois utilisé exclusivement, c'est le foyer de la boomérite et de tous les travers du méchant mème vert....

Shambhala: Ok, nous y reviendrons. Mais quel est le problème avec le fait de trouver des parallèles entre par exemple un certain type de déconstruction Derridéenne et le Vide Bouddhiste ou l'école de Madhyamika?

KW: Il n'y a aucun problème, aussi longtemps que vous gardez à l'esprit certaines différences profondes. Le but de base de la déconstruction est de travailler avec le langage, et dans l'état d'éveil ou le royaume grossier, de tenter d'approcher un certain type de compréhension de l'ambiguïté, de l'instabilité, et de la paradoxicalité des signifiants. Le but de la méditation bouddhiste est de renforcer la conscience de sorte qu'elle puisse être essentiellement attentive à tous les phénomènes qui font surface dans l'état d'éveil ET l'état de rêve ET l'état profond sans sommeil, de façon que l'on s'éveille à une conscience pleine ou Boudhaconscience qui est présente dans les trois états -- éveil, rêve, sommeil -- et donc atteint une grande libération de tous les états passagers de l'être, haut ou bas, sacré ou profane.

Shambhala: Décrit comme cela, il ne semble pas y avoir grand chose en commun.

KW: Il y a très peu en commun. Tout ce qu'ils partagent est un certain nombre de similitudes au sujet des limitations de la langue dans l'état d'éveil. Je trouve ces similitudes suggestives et utiles, et j'ai écrit là-dessus (par exemple, dans les notes de SES). Mais si on se contente de déconstruction, alors on n'entreprend pas la pratique ardue du yoga, du zen, de la méditation, qui transforme la conscience au delà même de l'esprit verbal -- en fait, au delà du réveil, du rêve, et du sommeil, qui est quelque chose la déconstruction non seulement ne peut pas faire, mais n'imagine même pas être possible. Mais jusqu'à ce que vous poursuiviez un yoga dans lequel vous restez conscient dans l'état d'éveil, de rêve, et l'état de sommeil profond, vous êtes simplement identifiés avec l'état d'éveil superficiel, de surface, et vous manipulez des signifiants linguistiques dans cet état et imaginez que cette "déconstruction" déconstruit d'une façon ou d'une autre le samsara, alors qu'il ne fait que manipuler une conscience plutôt superficielle et n'entre pas dans les causes profondes de la souffrance, telles que l'attachement à l'état de réveil lui-même. La déconstruction est quelque chose que le moi fait dans l'état d'éveil afin de ne pas lâcher le moi.

Shambhala: Compris. Point suivant: la plupart du temps les postmodernistes n'établissent pas de similitudes avec les grandes traditions de sagesse ou la philosophie éternelle, mais ils les attaquent plutôt violemment comme étant oppressifs. Quand à la philosophie éternelle, vous avez vous-même été un critique particulièrement dur envers elle, pourquoi donc vous en prenez-vous ainsi aux postmodernistes à cet égard?

KW: C'est vrai. Ou plus précisément, j'essaye de regarder les forces et les faiblesses de la philosophie éternelle, tandis que la plupart des postmodernistes (y compris les postmodernistes transpersonnels) se contentent de la jeter aux orties. Les forces des grandes traditions de sagesse sont nombreuses, et incluent le fait que celles-ci ont compté parmi les grands pionniers des états et des étapes plus élevés du développement de la conscience, et comme tels elles méritent une somme considérable d'honneur et de respect. En outre, dans la mesure où l'Esprit est éternel, ou a tout du moins une dimension qui est éternelle, ces pionniers étaient les premiers à s'éveiller à cet état éternel, et c'est un accomplissement prodigieux, auquel la seule réponse correcte, il me semble, est un salut profond et humble, quelque chose que le moi postmoderne n'envisagera jamais.

Les inconvénients sont toutefois aussi nombreux: la philosophie éternelle a été habituellement énoncée sous les formes qui étaient statiques et fixes au lieu de processus dynamiques; les hiérarchies psychologiques et cosmologiques étaient souvent trop rigides; l'évolution au cours du temps géologique et phylogénétique n'était pas comprise; les archétypes étaient donc énoncés en tant que formes figées plutôt qu'en tant qu'habitudes kosmiques; les quadrants n'ont pas été suffisamment compris; et ainsi de suite. Des critiques de la philosophie éternelle peuvent être trouvées en presque tous mes livres (voir, par exemple, Integral Psychology , One Taste , les Introductions to CW volumes 1, 2, 4, 7, et 8). Mais ce que j'ai fondamentalement essayé de faire est de prendre la sagesse éternelle des grandes traditions prémodernes et d'y ajouter les vérités complémentaires de l'esprit moderne et postmoderne, pour nous donner quelque chose qui ressemble à une vue plus intégrale embrassant les vérités de toutes ces grandes époques, prémoderne et moderne et postmoderne.

Shambhala: Vous mentionniez un quatrième groupe dans le mouvement général transpersonnel. 

KW: Le quatrième groupe est l'approche intégrale. Cette école avance qu'elle incorpore (ou "transcende et inclut") les bases de toutes les autres écoles, mais c'est exactement ce qui est durement contesté par elles toutes. Et pourtant, l'approche intégrale inclut le magique-mythique, le virage postmoderne, l'importance des états non-ordinaires, ainsi que les structures, les étapes, les royaumes, lignes, quadrants, et ainsi de suite. Pour cette raison, l'approche intégrale a de façon concluante établi de nombreux ponts avec le courant principal et a atteint à cet égard une modeste acceptation. Vous pouvez trouver une liste de psychologues intégraux, ou ceux qui suivent l'approche intégrale, dans "A Summary of My Psychological Model".

Shambhala: Mais l'école intégrale est celle avec laquelle vous êtes actuellement associé, et vous dites qu'elle ne fait pas partie du mouvement transpersonnel. 

KW: C'est exact. À mon avis, la psychologie intégrale est plus inclusive que n'importe laquelle des écoles traditionnelles de Psychologie Transpersonnelle, c'est pourquoi elle n'est plus affiliée avec le mouvement transpersonnel. Nous ne nous y référons habituellement même pas comme à une "psychologie," mais simplement en tant qu'approche intégrale, puisqu'elle est fondamentalement "tous quadrants, tous niveaux, toutes lignes, tous états, etc..." et cela s'étend au delà de toute forme de psychologie.

Shambhala: Vous pensez que la psychologie est morte de toute façon.

KW: Comme discipline, oui. Elle l'a été depuis presque une décennie. Elle n'est simplement plus prise au sérieux en dehors de ses propres cercles qui diminuent. C'est devenu "une discipline poussiéreuse." Elle est entrain d'être mangée toute crue par les approches scientifiques des quadrants droits (tels que la science cognitive) et elle est dissoute et déconstruite par le méchant mème vert dans les quadrants gauches. Elle semble vivre ses derniers jours.

Shambhala: Vous décrivez ceci, et un remède possible, dans "The Death of Psychology and the Birth of the Integral," la première section de "An Introduction to My Psychological Model."

KW: Oui. 

Shambhala: Est-ce la raison pour laquelle vous avez démissionné en tant que rédacteur au Journal of Transpersonal Psychology?

KW: Oui. Mais regardez, ce que j'essaye de dire à propos de ces quatre groupes est simplement que, à quelques exceptions près, non seulement ces écoles ne s'entendent pas, mais elles souffrent réellement de leurs associations avec les autres -- et elles en conviennent toutes. Par exemple, si le groupe exploration tribale permet l'accès à une de ses conférences à un orateur New Age, l'audience devient plutôt mécontente. Si une conférence intégrale a des présentateurs pluralistes postmodernes ou mème vert essayant de dominer la discussion avec des discussions interminables, l'assistance s'ennuie visiblement. Aucun des quatre groupes n'a grand chose à offrir aux autres, excepté l'irritation.

Shambhala: Ce n'est pas étonnant qu'il n'y ait eu aucune approche transpersonnelle cohérente sur laquelle toutes les écoles aient pu s'entendre.

KW: Je pense que c'est exact. Chaque école a sa propre approche et sa propre théorie. En fait, les diverses écoles sont fondamentalement ancrées dans différents niveaux de la conscience, ce qui est la raison pour laquelle elles ne pourront jamais probablement jamais être d'accord les unes avec les autres. Le modèle magique-mythique est principalement rouge/bleu; le modèle postmoderniste est principalement vert; et le modèle d'états altérés est branché sur les états plus élevés, transmentaux, subtils et causals (mais sans inclure de structures). C'est pourquoi, à mon avis, peu d'elles sont ouvertes à la recherche et à l'évidence extérieure -- ils ignorent simplement ce qui ne s'ajuste pas au paradigme régnant dans leur école, qui est ancré principalement dans leur propre niveau personnel de développement. Au lieu d'essayer d'intégrer les différentes approches et les différents paradigmes -- qui exigeraient un plus grand éveil à leurs propres pleines capacités représentées par tous les paradigmes pris dans leur ensemble -- ils tendent à réfuter les autres en tant que "vieux paradigmes" ou "patriarcaux" ou "inutiles" ou autres. Ainsi très peu de systèmes intégrateurs sont sortis de cette guerre idéologique. C'est une des nombreuses raisons pour lesquelles tout ce qui est étiqueté "transpersonnel" n'a aucune chance de recueillir de fonds, et c'est pourquoi la plupart des chercheurs et professeurs doués ont quitté ce domaine il y a bien longtemps, simplement pour des questions de nécessité économique.

Shambhala: Quelle est donc la solution? 

KW: Et bien, pour commencer, je pense que chacun des quatre groupes doit simplement aller son propre chemin. La raison pour laquelle je crois ceci est que, d'après leurs propres dires, chacun d'entre eux est professionnellement lésé du fait de son association avec les autres. Si vous essayez d'atteindre le courant principal, par exemple, vous ne pouvez pas entrer à Harvard avec une psychologie qui inclut des cristaux New Age -- vous vous ferez écrabouiller. Si, par ailleurs, votre but est d'atteindre les individus New Age, alors le fait d'avoir avec vous des professeurs de Harvard qui exigent de l'évidence empirique gâchera l'ensemble de l'expérience, parce que leur "scepticisme" et leur "incrédulité" empêcheront un certain enthousiasme de groupe. Vous ne pouvez pas présenter de façon crédible les résultats des expériences psychédélique à l'aide de drogues au courant principal, parce que le courant principal écartera toute cette spiritualité comme des hallucinations induites par des drogues, ce qui déconsidère alors l'ensemble du domaine de recherche, et ainsi de suite. Tout ceci est selon moi malheureux, mais ce n'en est pas moins une réalité, et une réalité que ce domaine a constamment ignorée, ce qui a finalement causé sa perte.

Chacune de ces écoles est blessée par les autres, aussi je dis, cessons la guerre. Le temps est venu d'une différentiation saine (sur le chemin d'une intégration plus élevée, ou une approche plus véritablement intégrale). Au lieu de tenter de faire rentrer chacun de ces quatre camps sous la même tente -- où tout ce qu'ils font est de se taper les uns sur les autres -- laissons-les avoir quatre tentes différentes, de sorte que chacun puisse commencer à se focaliser et à se concentrer sur ce qu'il fait le mieux, sans vociférations de la part des autres. Ce serait une approche beaucoup plus saine, il me semble. Je souhaite sincèrement tout le bien possible à l'ensemble du domaine, mais je n'ai aucun désir de participer à cette auto-démolition. Comme je l'ai dit, je pense que chacune des quatre approches a quelque chose de très important à offrir, et elles ont toutes besoin d'une peu d'espace pour respirer et pour rassembler leurs ressources, aussi c'est ce qu'elles devraient faire.

Et puis, à un certain stade, alors qu'émergera une approche plus véritablement intégrale, des manières systématiques de toutes les inclure pourraient se manifester (c'est-à-dire, des manières systématiques de toutes les différencier-et-intégrer -- et ceci est le plus important -- incluant aussi toutes les écoles conventionnelles). J'ai offert une telle approche inclusive dans Integral Psychology, mais il pourrait y en avoir bien d'autres. Nous verrons. Mais dans l'état dans lequel se trouve maintenant le domaine, c'est simplement de l'auto-cannibalisation, ce qui de toute façon n'est même pas remarqué par le reste du monde, et l'approche intégrale se différencie de cette atmosphère malheureuse. Je ne vois tout simplement aucune autre manière de procéder.

SOURIEZ, QUAND VOUS DITES CELA

Shambhala: Cette différentiation d'avec le transpersonnel semble faire partie d'un plus grand mouvement dans votre travail théorique global. Alors que vous "dépassez et incluez" de plus en plus de domaines dans une approche intégrale, vous ressentez de plus en plus la nécessité de différencier par rapport à des approches plus étroites ou moins-inclusives. A quelques occasions dans vos écrits récents, cette différentiation a été énoncée d'une manière polémique, ce qui n'est pas caractéristique de vos écrits dans leur ensemble. Voulez-vous bien réexaminer cette question?

KW: Les Notes polémiques à la fin de Sex, Ecology, Spirituality

Shambhala: Oui. Pourquoi vous les avez incluses. Selon la rumeur, elles n'auraient pas fait partie du manuscrit original. 

KW: C'est vrai, elles n'en faisaient pas partie. Je suis passé par une période très difficile pendant laquelle je me suis demandé s'il fallait les inclure ou pas. J'ai consulté plus de deux douzaines d'amis, de collègues, et d'associés. La recommandation presque unanime était qu'il fallait les inclure. L'idée était qu'il était temps de secouer ce domaine et de commencer ce processus de différentiation (sur le chemin d'une intégration plus élevée). Roger Walsh donnait une conférence à l'université de Californie, à Irvine, et il utilisait le deuxième manuscrit de SES comme texte de référence -- celui contenant les Notes polémiques -- et ainsi j'ai employé ces étudiants comme "focus group". Vers la fin du premier chapitre, le groupe a voté presque à l'unanimité pour supprimer les Notes -- elles dérangeaient trop. Mais vers la fin du livre, ils ont voté presque à l'unanimité pour garder toutes les Notes -- ils ont vu exactement ce que j'essayais de faire. C'était assez intéressant. Quoi qu'il en soit, j'ai finalement décidé de les conserver.

Shambhala: Ok, qu'essayiez-vous de faire? Expliquez nous.

KW: Bien, il y a plusieurs manières dont on peut l'expliquer (ou comme le diraient mes détracteurs, de le rationaliser), mais le plus facile est d'employer la Dynamique Spirale [ pour une brève explication de la Dynamique Spirale, voir la section ci-dessous, "la Dynamique Spirale et les Vagues de l'Existence" ]. Dit simplement, les Notes étaient sensées différentier le mème vert du second palier. C'est-à-dire, les Notes étaient une critique second palier du mème vert premier palier, et ils étaient censés aider à différencier les lecteurs en fonction de ces lignes -- ils étaient censés permettre aux lecteurs de voir très clairement à quel mème ils s'identifiaient: le mème vert ou turquoise. Et les réponses que j'ai obtenues indiquaient clairement de quelle direction venaient: les gens: une réaction verte en colère, ou une approbation turquoise très sympathique. Le vert m'a attaqué en retour, tout aussi brutalement que je lui était tombé dessus, ce qui en fait était assez marrant; et le turquoise m'a envoyé des tonnes d'éloges et d'assentiment. Le livre est devenu pour cette raison très controversé, avec une colère verte massive et un éloge turquoise également imposant. Mais cela a marqué un tournant pour ce domaine, parce que personne ne pourrait plus jamais supposer que le vert et le turquoise étaient du même camp -- ce sont deux approches tout à fait différentes de la conscience, de l'histoire, de la réalité, et de la spiritualité. Naturellement, pour la Dynamique Spirale, le turquoise dépasse et inclut le vert, ce qui est la position que j'ai toujours prise et la position qui a été avancée dans les Notes, mais est exactement ce contre ce quoi vert a violemment réagi. Mais tout ceci a fait surface avec ces Notes, et je ne pense pas que cela se serait produit ou aurait pu se produire d'aucune autre manière.

Shambhala: D'accord, mais vos critiques indiquent que ces Notes polémiques -- en fait, il n'y en a pas tant que cela, peut-être une ou deux douzaines sur plus d'un millier -- mais ils disent que ces Notes prouvent que vous êtes naturellement polémique, colérique, arrogant... bref, un connard.

KW: [ rire ] Écoutez, je ne prétends pas être exempt de tout cela. Je voudrais penser que je déconne tout autant que n'importe qui d'autre. Mais ce que les critiques disent serait vrai si toute cette polémique était présente dans le premier jet, que cela sortait de moi sans que j'y puisse rien. Mais les Notes n'étaient pas dans le premier jet; elles ont été insérées dans la deuxième ébauche après une longue et soigneuse délibération avec de nombreux autres érudits. Ce n'était en aucune façon des excès d'exalté. Si c'était vraiment caractéristique de moi, alors vous trouveriez des tonnes de polémique dans tous mes livres précédents, alors qu'en fait, comme bien des personnes l'ont souligné, il n'y a pas une seule phrase polémique dans n'importe lequel de ma douzaine de livres précédents.

Shambhala: Ainsi vous dites que vous n'étiez pas du tout fâché quand vous écriviez ces notes?

KW: Non, je ne dis pas cela non plus. Je dis que dans toutes les autres circonstances j'aurais expurgé la colère de ces Notes, parce qu'il n'est pas approprié d'inclure cela dans un travail savant, mais dans ce cas-ci j'ai décidé de les y laisser. Il y a une atmosphère de colère et d'angoisse qui imprègne SES, tout comme Brève Histoire et The Eye of Spirit, mes étudiants appellent ceci "la période de colère" [ voire l'introduction à CW6 ] -- colère contre ce que le postmodernisme déconstructif extrême et le méchant mème vert ont fait aux études culturelles, à la spiritualité, et à l'éducation culturelle en général, conventionnelle aussi bien qu'alternative. [voire l'introduction à CW8] Tout ceci a été décrit dans un autre livre que j'ai écrit à ce moment-là, Boomeritis.

Shambhala: D'accord, mais vos critiques indiquent également que votre message aurait été entendu et beaucoup plus aisément accepté si vous aviez été plus doux dans la livraison.

KW: Je comprends cela, mais c'est exactement le point que je conteste. Ce type de message intégral a été exposé, non seulement dans mes livres précédents, mais par de grands auteurs intégraux de James Mark Baldwin à Jean Gebser à Michael Murphy. Et ce message intégral a été fondamentalement ignoré pendant plusieurs décennies, alors que la majeure partie des paradigmes admis étaient les états magiques-mythiques (violet/rouge), les états provisoires, ou le postmodernisme (vert), les trois sous-groupes décrits ci-dessus, sans la moindre compréhension de comment tous les intégrer en une synthèse plus large -- ce qui constituerait aussi une critique acérée de l'étroitesse de chaque approche prise isolément, ce qui est effectivement ce à quoi s'attaquaient les Notes. Parfois la roue qui grince reçoit de la graisse, et ainsi les Notes ont beaucoup grincé et ont reçu beaucoup de graisse. Ceci a fait monter ces questions à la surface, et en fin de compte les bonnes répercussions ont pesé largement plus lourd que les mauvaises.

Shambhala: Brève Histoire et The Eye of Spirit contiennent quelques phrases polémiques, mais tous vos livres académiques depuis lors, comme The Marriage of Sense and Soul, Integral Psychology et A Theory of Everything ont été exempts de toute polémique. Vous semblez être revenu à votre style habituel.

KW: À une exception près. Comme je l'ai brièvement mentionné, j'ai écrit un autre livre quelque peu polémique pendant cette période, un livre appelé Boomeritis. Et j'espère bien que mon style pourra encore être acéré et acerbe lorsque c'est justifié, peut-être même spirituel dans un bon jour, mais j'espère que jamais amer ou méchant, ce qui n'est pas du tout mon intention.

Shambhala: Quand doit sortir Boomeritis

KW: Il doit sortir chez Shambhala à l'automne 2001. Parmi la population mème vert, il cimentera certainement ma réputation en tant que totalement arrogant, méchant, dominant... c'est-à-dire, comme vous dites: de connard.

Shambhala: C'est bien comme ça que nous vous connaissons. 

KW: [ Rire ] Oui, merci beaucoup. 

Shambhala: Il faut mentionner que vous avez mis à jour SES, pour la deuxième édition -- 50 nouvelles pages du texte et de 6 nouveaux diagrammes -- qui est disponible comme CW6 et est maintenant disponible en format broché.

KW: Oui, pour les CW, j'ai fait des secondes éditions révisées de SES, Brève Histoire et The Eye of Spirit. Ils sortiront aussi en broché.

Shambhala: Revenons à cette tension entre vert et turquoise, ou entre le vert et le deuxième palier. Comment voyez-vous cela? Et pourquoi est-ce important

KW: Dans Integral Psychology je présente des tableaux qui récapitulent plus de 100 psychologues développementaux, orientaux et occidentaux, antiques, modernes et postmodernes. La Dynamique Spirale n'est que l'un des 100, mais je l'ai récemment utilisé souvent parce que c'est simple et assez facile à apprendre, même pour des débutants. Basée sur la recherche étendue initiée par Clare Graves, la Dynamique Spirale (développée par Don Beck et Christopher Cowan) voit les êtres humains évoluer ou se développer à travers huit vagues de conscience principales. A des fins de convenance, je réutilise ici mon bref sommaire de ces dernières à partir de A Theory of Everything [ ceux qui sont familiers de la Dynamique Spirale peuvent aller directement au début de la 2e. partie -- "l'entretien continue: Le Mème Vert "]

DYNAMIQUE SPIRALE ET LES VAGUES DE L'EXISTENCE

Les six premiers niveaux sont des "niveaux minima pour vivre" marqués par une "pensée premier palier"." Alors se produit un changement révolutionnaire de la conscience: l'apparition de "niveaux d'être" et de pensée "deuxième palier," dont il y a deux vagues principales. Voici une courte description de chacune des huit vagues, du pourcentage de la population du monde à chaque vague, et du pourcentage de la puissance sociale détenue par chacune. 

1. Beige: Archaïque-Instinctuel. Le niveau de survie élémentaire; la nourriture, l'eau, la chaleur, le sexe, et la sécurité ont la priorité. Utilise les habitudes et les instincts simplement pour survivre. Le moi distinct est à peine éveillé ou soutenu. S'assemble en bandes de survie pour perpétuer la vie.

Observé: Premières sociétés humaines, nouveaux-nés, personnes séniles, les victimes d'Alzheimer, personnes mentalement retardées, masses affamées, personnes en état de choc. Approximativement 0,1% de la population adulte, pouvoir 0%.

2. Violet: Magique-Animiste. La pensée est animiste; des esprits magiques, bons et mauvais, parcourent la terre semant des bénédictions, des malédictions et des sorts qui déterminent les événements. S'assemblent en tribus ethniques. Les esprits existent chez les ancêtres et soudent la tribu. La parenté et la lignée établissent des liens politiques. Semble "holistique" mais est en fat atomistique: "il y a un nom pour chaque méandre du fleuve mais aucun nom pour le fleuve." 

Observable: Croyance en des sorts de type vaudou, serments de sang, vendetta, amulettes, rituels familiaux, croyances ethniques magiques et superstitions; présent dans des environnements tiers-mondistes, des gangs, des équipes sportives, et des "tribus d'entreprises" 10% de la population, 1% du pouvoir.

3. Rouge: Dieux Puissants. Première apparition d'un individu distinct de la tribu; puissant, impulsif, égocentrique, héroïque. Esprits magiques-mythiques, dragons, bêtes, et personnes puissantes. Dieux et déesses archétypaux, êtres puissants, forces avec lesquelles compter, bonnes et mauvaises. Les seigneurs féodaux protègent les vassaux en échange de l'obéissance et du travail. La base des empires féodaux -- puissance et gloire. Le monde est une jungle emplie de menaces et de prédateurs. Conquiert, se montre plus rusé, et domine; profite de soi-même le plus possible sans regret ou remords; être ici maintenant. 

Observable: Les "deux terribles," jeunesse rebelle, mentalités "de frontière", royaumes féodaux, héros épiques, bandits de James Bond, chefs de gang, mercenaires, narcissisme New Age, vedettes de rock sauvages, Atilla le Hun, "Sa Majesté des Mouches". 20% de la population, 5% du pouvoir.

4. Bleu: Ordre Mythique. La vie a un sens, une direction, et un but, avec des résultats déterminés par un Autre ou un Ordre tout-puissant. Cet ordre vertueux impose un code de conduite basé sur l'absolutisme et les principes intangibles de "bien" et de "mal." La transgression du code ou des règles a des répercussions graves et peut-être éternelles. Suivre le code rapporte des récompenses pour les fidèles. Base des nations antiques. Hiérarchies sociales rigides; paternalistes; une bonne manière et seulement une bonne manière de penser à tout. Loi et ordre; impulsivité contrôlée par la culpabilité; croyance concrète-littérale et fondamentaliste; obéissance à la règle de l'Ordre; fortement conventionnel et conformiste. Souvent "religieux" ou "mythique" [ dans le sens de confrérie mythique; Graves et Beck s'y réfèrent comme au niveau ""saint/absolutiste" ], mais peut être un Ordre ou une mission séculaire ou athée. 

Observable: Amérique Puritaine, Chine Confucéenne, Angleterre de Dickens, totalitarisme Singapourien, , codes de chevalerie et d'honneur, bonnes actions, fondamentalisme religieux (par exemple, Chrétien et Islamique), scouts, "majorité morale," patriotisme. 40% de la population, 30% du pouvoir.

5. Orange: Accomplissement Scientifique. À cette vague, l'individu "s'échappe" de la "mentalité de troupeau" bleue, et recherche la vérité et la signification en termes individualistes -- hypothético-déductifs, expérimentaux, objectifs, mécanistes, opérationnels -- "scientifiques" dans le sens typique. Le monde est une machine raisonnable et bien huilée avec des lois naturelles qui peuvent être apprises, maîtrisées, et manipulées à ses propres fins. Fortement orienté à l'accomplissement, en particulier (en Amérique) vers des gains matérialistes. Les lois de la science régissent la politique, l'économie, et des événements humains. Le monde est un échiquier sur lequel des jeux sont joués puisque les gagnants gagnent la prééminence et des avantages sur les perdants. Alliances de marché; manipule les ressources terrestres pour ses propres gains stratégiques. Base des états-nations. 

Observable: Le siècle des lumières, Atlas Shrugged de Ayn Rand, Wall Street, les bourgeoisies naissantes autour du monde, l'industrie des produits de beauté, la chasse au gros, le colonialisme, la guerre froide, l'industrie de la mode, le matérialisme, l'humanisme séculaire, l'intérêt personnel libéral. 30% de la population, 50% du pouvoir.

6. Vert: L'Individu Sensible. Communautaire, établissement de liens, sensibilité écologique, réseaux. L'esprit humain doit être libéré de l'avarice, du dogme, et de la désunion; les sentiments et le souci d'autrui remplacent la rationalité froide; amour de la terre, Gaia, la vie. Contre la hiérarchie; établit des liens latéraux. moi perméable, moi relationnel, tissage de groupes. Emphase sur le dialogue, les relations. Base des communautés de valeur (c.-à-d., affiliations librement choisies basées sur des sentiments partagés). Arrive à des décisions sur la base de réconciliation et de consensus (inconvénient: "traitement" interminable et incapacité d'arriver à des décisions). Renouveau de la spiritualité, recherche de l'harmonie, enrichir le potentiel humain. Fortement égalitaire, anti-hiérarchie, valeurs pluralistes, construction sociale de la réalité, diversité, multiculturalisme, systèmes relativistes de valeur; cette façon de voir s'appelle souvent le relativisme pluraliste. Pensée subjective et non-linéaire; montre un plus haut degré de chaleur, de sensibilité, et de souci affectif des autres, de la terre et de tous ses habitants. 

Observable: Ecologie profonde, postmodernisme, idéalisme Hollandais, conseil Rogerien, santé canadienne, psychologie humaniste, théologie de libération, quête coopérative, le Conseil Oecuménique des Eglises, Greenpeace, droits des animaux, écoféminisme, le post-colonialisme, Foucault/Derrida, Politiquement Correct, mouvements de diversité, questions des droits de l'homme, écopsychologie. 10% de la population, 15% du pouvoir. [ note: c'est 10% de la population du monde. Don Beck estime que 20-25% de la population américaine est verte. ]

Avec l'avènement du mème vert, la conscience humaine est prête à un saut quantique vers une "pensée 2e. palier". Clare Graves décrivait ceci comme un "élan capital" où un "abîme d'une profondeur de signification incroyable est franchi." Fondamentalement, il est possible avec une conscience 2e. palier de penser verticalement et horizontalement, en utilisant aussi bien des hiérarchies que des hétérarchies (aussi bien des classements que des relations). Il devient donc possible pour la première fois de saisir de manière vivide le spectre entier du développement intérieur, et donc de voir ainsi que chaque niveau, chaque mème, chaque vague est essentielle à la santé de la spirale entière.

On pourrait dire: chaque vague "transcende et inclut." C'est-à-dire, chaque vague dépasse (ou transcende) son prédécesseur, mais elle l'inclut ou l'embrasse dans sa propre essence. Par exemple, une cellule dépasse mais inclut les molécules, qui dépassent mais incluent des atomes. Dire qu'une molécule dépasse un atome ne veut pas dire que les molécules détestent des atomes, mais qu'elles les aiment: elles les embrassent dans leur propre essence; elles les incluent, elles ne les marginalisent pas. Ainsi, chaque vague d'existence est un ingrédient fondamental de toutes les vagues suivantes, et chacune doit ainsi être aimée et embrassée.

Qui plus est, chaque vague peut elle-même être activée ou réactivée au gré des nécessités de la vie. Dans des situations d'urgence, nous pouvons activer les pulsions rouges; en réponse au chaos, nous pourrions devoir activer l'ordre bleu; en recherchant un nouveau travail, nous pourrions avoir besoin des initiatives d'accomplissement oranges; dans le mariage et avec des amis, de liens de proximité verts. Tous ces mèmes ont quelque chose d'important à contribuer.

Mais ce qu'aucun des mèmes de premier palier ne peut faire par lui-même, c'est d'apprécier pleinement l'existence des autres mèmes. Chacun des mèmes premier palier pense que sa vision du monde est la bonne perspective ou la meilleure. Il réagit négativement s'il est défié; il se rebiffe, en utilisant ses propres moyens, toutes les fois qu'il est menacé. L'ordre bleu est particulièrement mal à l'aise au contact de l'impulsivité rouge et de l'individualisme orange. L'individualisme orange pense que l'ordre bleu est pour les pigeons et l'égalitarisme vert est faible et pour les geignards. L'égalitarisme vert a du mal à se plier à l'excellence, à valoriser les classements, les tableaux d'ensemble, les hiérarchies, ou tout ce qui ressemble à de l'autorité, ainsi le vert réagit violemment au bleu, à l'orange, et à tout ce qui est post-vert.

Tout ceci commence à changer avec la pensée deuxième palier. Puisque la conscience deuxième palier se rend entièrement compte des étapes intérieures du développement -- même si elle ne peut pas les articuler d'une manière technique -- elle prend du recul et saisit le tableau d'ensemble, et la pensée deuxième palier apprécie ainsi le rôle nécessaire que jouent tous les divers mèmes. La conscience deuxième palier pense en termes de spirale globale d'existence, et pas simplement dans les limites de tel ou tel autre niveau.

Là où le mème vert commence à saisir les nombreux différents systèmes et les contextes pluralistes qui existent dans différentes cultures (ce qui est bien entendu la raison pour laquelle c'est en effet l'individu sensible, c.-à-d., sensible à la marginalisation des autres), la pensée deuxième palier va une étape plus loin. Elle recherche les contextes riches qui lient et joignent ces systèmes pluralistes, et elle prend ainsi ces systèmes séparés et commence à les embrasser, à les inclure, et à les intégrer dans des spirales holistiques et des tissages intégraux. La pensée deuxième palier, en d'autres termes, est instrumentale au passage du relativisme au holisme, ou du pluralisme à l'intégralisme.

La recherche poussée de Graves, Beck et Cowan indique qu'il y a au moins deux vagues principales à cette conscience intégrale deuxième palier.

7. Jaune: Intégrateur. La vie est un kaléidoscope des hiérarchies naturelles [ holarchies ], de systèmes, et de formes. La flexibilité, la spontanéité, et la fonctionnalité ont la priorité la plus élevée. Des différences et les pluralités peuvent être intégrées dans des écoulements interdépendants et naturels. L'égalitarisme est complémenté par des degrés naturels d'ordre et d'excellence. La connaissance et la compétence remplacent le pouvoir, le statut, ou la sensibilité de groupe. L'ordre régnant sur le monde est le résultat de l'existence de différents niveaux de réalité (mèmes) et des inévitables modèles de mouvement parcourant la spirale dynamique. La bonne gouvernance facilite l'apparition d'entités par les niveaux de complexité croissante (hiérarchie imbriquée). 1% de la population, 5% du pouvoir.

8. Turquoise: Holistique. Système holistique universel, holons/vagues d'énergies intégratrices; unit le sentiment à la connaissance; niveaux multiples entrelacés en un système conscient. Ordre universel, mais d'une manière vivante et consciente, non basée sur des règles externes (bleues) ou des liens de groupe (vert). "une unification grandiose" [ une "théorie de tout" ou de T.O.E. ] est possible, dans la théorie et dans la réalité. Comporte parfois l'apparition d'une nouvelle spiritualité comme trame de toute l'existence. La pensée turquoise utilise la spirale entière; voit de multiples niveaux d'interaction; détecte des harmoniques, les forces mystiques, et les états-flux dominants qui imprègnent toute organisation. 0,1% de la population, 1% du pouvoir.

Avec moins de 2 pour cent de la population à une pensée deuxième palier (et seulement 0,1 pour cent au turquoise), la conscience deuxième palier est relativement rare parce qu'elle est maintenant l'"avant-garde" de l'évolution humaine collective. Comme exemples, parmi ce qu'évoquent Beck et Cowan figurent la noosphere de Teilhard de Chardin, le chaos et les théories de la complexité, la pensée systémique universelle, les théories intégrales-holistiques, l'intégration pluraliste de Gandhi et de Mandela, avec des augmentations de fréquence clairement à venir, et des mèmes plus élevés encore en perspective....

Le Saut à la Conscience Deuxième Palier

Comme le précisent Beck et Cowan, la pensée deuxième palier doit émerger face à une résistance considérable de la pensée premier palier. En fait, une version du mème vert postmoderne, avec son pluralisme et son relativisme, a activement combattu l'apparition d'une pensée plus intégrative et plus holistique. Mais sans pensée deuxième palier, comme le soulignent Graves, Beck et Cowan, l'humanité est destinée à demeurer victime d'une "maladie auto-immune globale," où les divers mèmes se retournent les uns vers les autres afin d'essayer d'établir leur suprématie.

C'est pour cette raison que de nombreuses discussions ne sont pas vraiment une question de meilleure évidence objective, mais du niveau subjectif de ceux qui discutent. Aucune somme d'évidence scientifique orange ne convaincra des croyants mythiques bleus; aucune quantité de relationnel vert n'impressionnera l'agressivité orange; aucune quantité de holisme turquoise ne délogera le pluralisme vert -- à moins que l'individu ne soit prêt à se développer et à progresser par la spirale dynamique du déploiement de la conscience. C'est pourquoi des débats traversant plusieurs niveaux sont rarement résolus, et toutes les parties habituellement se sentent non-écoutées et non-appréciées.

De même, rien qui peut être dit en ce livre ne vous convaincra qu'une Théorie de Tout est possible, à moins qu'une trace de turquoise ne colore déjà votre palette cognitive (et alors vous penserez presque à chaque page, "je sais déjà cela! Je ne savais simplement pas comment l'articuler").

Comme nous le disions, les mèmes de premier palier résistent généralement à l'apparition des mèmes de deuxième palier. Le matérialisme scientifique (orange) est agressivement réductionniste envers des construits deuxième palier, essayant de ramener toutes les étapes intérieures à des feux d'artifices neuronaux objectifs. Le fondamentalisme mythique (bleu) est souvent outragé face à ce qu'il voit comme des tentatives de mettre en cause son Ordre donné. L'égocentrisme (rouge) ignore carrément le deuxième palier. La magie (violet) jette un sort là-dessus. Le vert accuse la conscience de deuxième palier d'être autoritaire, rigidement hiérarchique, patriarcale, marginalisante, oppressive, raciste, et sexiste.

Vert a été responsable des études culturelles pendant les dernières trois décennies. Vous aurez probablement déjà identifié plusieurs des mots standard du mème vert: pluralisme, relativisme, diversité, multiculturalisme, déconstruction, anti-hiérarchie, et ainsi de suite.

D'une part, le relativisme pluraliste vert a noblement élargi le canon des études culturelles pour inclure beaucoup de peuples, d'idées, et de récits précédemment marginalisés. Il a agi avec sensibilité et soin en essayant de réparer des déséquilibres sociaux et d'éviter des pratiques exclusionnistes. Il a été responsable des initiatives de base dans des droits civiques et la protection de l'environnement. Il a développé des critiques vigoureuses et souvent convaincantes des philosophies, de la métaphysique, et des pratiques sociales des mèmes religieux (bleu) et scientifiques (oranges) conventionnels, avec leurs agendas souvent exclusionnistes, patriarcaux, sexistes, et colonialistes.

D'autre part, aussi efficace que ces critiques des étapes pré-vertes aient été, le vert a aussi essayé de braquer ses armes sur toutes les étapes post vertes, avec de malheureux résultats. Ceci a rendu très difficile, et souvent impossible, pour le vert de progresser vers des constructions plus holistiques et plus intégrales.

Du fait que le relativisme pluraliste (vert) dépasse les absolutismes mythiques (bleus) et la rationalité formelle (orange) pour arriver à des contextes richement texturisés et individualistes, une de ses caractéristiques centrales est son puissant subjectivisme. Ceci signifie que ses sanctions de la vérité et de la qualité sont établies en grande partie sur la base de préférences individuelles (aussi longtemps que l'individu ne nuit pas aux autres). Ce qui est vrai pour vous n'est pas nécessairement vrai pour moi; ce qui est exact est tout simplement ce sur quoi les individus ou les cultures s'accordent à un moment donné; il n'y a aucune revendication de connaissance ou de vérité; chaque personne est libre pour trouver ses propres valeurs, qui ne s'appliquent pas nécessairement à quiconque d'autre. "vous faites votre chose à vous, je fais la mienne" est un résumé populaire de cette position.

C'est pourquoi le moi est en effet à ce stade "le moi sensible." Précisément parce qu'il est conscient des nombreux contextes différents et de nombreux types de vérités différentes (pluralisme), il fait des efforts considérables pour laisser chaque vérité avoir son mot à dire, sans en marginaliser ou rabaisser aucune. Tout comme avec les expressions caractéristiques "anti-hiérarchie," "pluralisme," "relativisme," et "égalitarisme," toutes les fois que vous entendez le mot "marginalisation" et une critique d'elle, vous serez presque toujours en présence d'un mème vert.

Cette noble intention a naturellement ses désavantages. Les réunions qui se déroulent selon des principes verts tendent à suivre un cours semblable: tout le monde a le droit d'exprimer ses sentiments, ce qui prend souvent des heures; il y a un traitement presque interminable des avis, ne se concluant souvent par aucune décision ou ligne de conduite, puisqu'une ligne de conduite spécifique exclurait probablement quelqu'un. Ainsi il y a souvent des appels pour une étreinte compatissante inclusionniste, non-marginalisante, de toutes les vues, mais précisément comment parvenir à cela est rarement défini, puisqu'en réalité toutes les vues n'ont pas un mérite équivalent. La réunion est considérée comme un succès non pas si une conclusion est atteinte, mais si chacun a la possibilité de faire partager ses sentiments. Puisque aucune vue n'est censée être en soi meilleure que des autres, aucune vraie ligne de conduite ne peut être recommandée, autre que de partager toutes les opinions. Si une affirmation est émise avec certitude, c'est combien toutes les alternatives sont oppressives et détestables. Il y avait un dicton courant dans les années '60: "la liberté est une réunion sans fin." La partie sans fin était certainement exacte.

Dans le milieu universitaire, ce relativisme pluraliste est la position dominante. Comme Colin McGuinn le récapitule: de "selon cette conception, la raison humaine est essentiellement locale, fonction de la culture, enracinée dans les faits variables de la nature humaine et de l'histoire, une question de 'pratiques divergentes et 'de formes de vie' et 'de cadres de référence' et 'd'arrangements conceptuels.' Il n'y a aucune norme du raisonnement qui dépassent ce qui est accepté par une société ou une époque, aucune justification objective pour la croyance que chacun se doit de respecter sous peine de dysfonctionnement cognitif. Être valide veut dire être considéré comme étant valide, et les personnes différentes peuvent avoir les modèles légitimement différents de considération. En fin de compte, les seules justifications nécessaires pour la croyance prennent la forme 'justifiée pour moi.'" Comme le dit Clare Graves, "ce système voit le monde de manière relativiste. La pensée fait preuve d'une emphase presque radicale et presque compulsive sur le fait de tout voir selon un cadre de référence relativiste et subjectif."

C'est peut-être évident: le relativisme pluraliste ayant une position si intensément subjectiviste, il est particulièrement la proie du narcissisme. Et c'est exactement là le nœud du problème: le pluralisme devient un super-attracteur pour le narcissisme. Le pluralisme devient un nid involontaire pour la Culture du Narcissisme, et le narcissisme est un grand dénégateur de n'importe quelle culture intégrale en général, et n'importe quelle T.d.T. en particulier (parce que le narcissisme refuse de sortir de sa propre orbite subjective et par conséquent il ne peut pas permettre des vérités autres que les siennes propres). Ainsi, sur notre liste d'obstacles à une véritable Théorie de Tout, nous pourrions lister la Culture du Narcissisme et la dominance exclusive du mème vert ....


FIN DE LA PREMIERE PARTIE
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Traduit par Eric de Rochefort



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