Religions, Valeurs, et Peak-Expériences

    Abraham H. Maslow

        Appendice D.   Quelle est la Validité du Savoir Provenant des Peak-Experiences?


 

    Cette question est trop considérable est trop importante pour un petit espace. Tout ce que je peux faire ici est de développer un argument prima facie en faveur de prendre la question au sérieux. Aussi bien la question que les réponses peuvent être mieux conçues et formulées aujourd'hui que jamais auparavant. Il en est ainsi surtout parce que l'expérience mystique a été détachée des croyances religieuses locales et amenée dans le domaine de la nature, et donc de la science. Les questions doivent être plus spécifiques, et de plus peuvent souvent être formulées d'une façon confirmable/infirmable.

    De plus, il semble assez clair que le genre de savoir (putatif) obtenu au cours des Peak-Experiences peut aussi être obtenu au cours d'expériences de désolation. De plus, ces clairvoyances peuvent devenir indépendantes des Peak-Experiences, et devenir ultérieurement disponibles dans des circonstances ordinaires. (La façon dont j'ai formulé ceci dans mon propre vocabulaire est: le E-savoir, la E-cognition et des Peak-Experiences peuvent survenir indépendamment les uns des autres. Il est aussi possible qu'il y ait une sorte de E-cognition "sereine", non-extatique, je suis beaucoup moins sûr de cela.

    La question doit être différenciée plus avant encore. Il ne fait aucun doute que les grandes clairvoyances et révélations sont profondément ressenties dans les Peak-Experiences ou expériences mystiques, et certaines d'entre elles sont ipso facto intrinsèquement validées en tant qu'expériences. C'est-à-dire à quelqu'un peut apprendre, et en fait apprend au cours de telles expériences que par exemple la joie, l'extase où le ravissement existent, et qu'ils sont en principe disponible pour l'expérimentateur, même s'il n'y a jamais été exposé auparavant. Et donc de celui qui vit des Peak-Experiences apprend sûrement et certainement que la vie peut en valoir la peine, qu'elle peut être belle et avoir de la valeur. Il y a des fins dans la vie, c'est-à-dire des expériences qui sont en elles-mêmes si précieuses qu'elles démontrent que tout n'est pas forcément un moyen envers d'autres fins.

    Une autre sorte d'éclairages auto-validant est l'expérience d'être une véritable identité, un véritable soi, de ressentir ce que c'est d'être vraiment soi-même, ce que l'on est en fait -- pas un hypocrite, un poseur, un imposteur, un simulateur. Ici encore, le fait même d'expérimenter constitue la révélation de la vérité.

    Mon sentiment est que si cela ne devait plus jamais se produire, la puissance l'expérience pourrait affecter pour toujours d'attitude envers la vie. Le seul fait d'entrevoir le paradis suffit à confirmer son existence, même s'il n'est plus jamais expérimenté. Je soupçonne fortement que même une seule de ces expériences pourrait suffire par exemple à prévenir le suicide, et peut-être de nombreuses variétés d'autodestruction, par exemple l'alcoolisme, l'addiction aux drogues, à la violence, etc. Je soupçonne aussi sur des bases théoriques que les Peak-Experiences pourraient bien mettre un terme aux états de "vide existentiel," d'absence de valeurs, etc., tout du moins occasionnellement. (Ces déductions concernant la nature des Peak-Experiences sont au moins partiellement étayées par l'expérience générale du LSD et de la psilocybine. Bien sûr, les rapports préliminaires attendent aussi confirmation). Ceci est alors une forme de Peak-savoir dont la validité et l'utilité ne peuvent laisser aucun doute, pas plus qu'il ne pourrait y avoir en découvrant pour la première fois que la couleur "rouge" existe, et quelle est merveilleuse. La joie existe, et peut-être expérimentée, et procurer un grand plaisir, et on peut toujours espérer l'éprouver à nouveau.

    Je devrais peut-être ajouter ici le résultat paradoxal -- pour certains -- que la mort peut perdre son aspect effrayant. L'extase est d'une certaine manière proche de l'expérience de la mort, tout du moins dans le sens simple, empirique, dans lequel la mort est fréquemment citée dans les récits de Peak-Experience c'est-à-dire la mort douce. Après l'apogée, seulement moins est possible. Dans tous les cas, j'ai entendu à l'occasion : "je ressentais que je pouvais volontiers mourir" ou "plus personne ne pourra jamais me dire que la mort est mauvaise," etc.. Le fait de vivre une mort douce peut supprimer son aspect effrayant. Cette observation devrait bien sûr être étudiée bien plus attentivement que je n'ai été capable de le faire. Mais ce qui est certain est que l'expérience elle-même est une forme de savoir découvert, (ou d'attitude changée) qui se valide lui-même. D'autres expériences similaires, se produisant pour la première fois, sont vraies simplement parce qu'elles son vécues, c'est-à-dire une plus grande intégration de l'organisme, le fait d'éprouver des perceptions physiognomiques, de fusionner des processus primaires et secondaires, de fusionner savoir et valoriser, de transcender des dichotomies, d'expérimenter le fait de savoir comme le fait d'être, etc. etc.. L'élargissement et l'enrichissement de la conscience à travers de nouvelles expériences perceptuelles, dont beaucoup laisseront un effet durable, est un peu comme d'améliorer le percepteur lui-même.

    Plus fréquemment, cependant, le savoir dégagé lors de Peak-Experiences a besoin de validation externe, indépendantes (70), ou tout du moins l'exigence d'une telle validation est une exigence significative; par exemple, tomber amoureux conduit non seulement à un plus grand souci, qui a son tour conduit à une plus grande attention, examen, et donc à une plus grande connaissance, mais cela conduit aussi à des affirmations et à des jugements qui peuvent ne pas être vrais même s'ils sont touchants et affectueux, par exemple "mon mari est un génie." L'histoire de la science et de l'invention est replète de cas d'illuminations validées, mais aussi "d'éclairs de génie" qui ont échoué.

    D'une façon d'une autre, il y a eu suffisamment des premiers pour supporter la proposition selon laquelle le savoir obtenu au cours de Peak-Experience peut être validé et valorisé.

    Cela est aussi quelquefois vrai des éclairages déconcertants, poignants (au cours des Peak-Experiences aussi bien que des expériences de désolation) ou des révélations qui peuvent survenir au cours de la psychothérapie -- même si ce n'est pas très fréquent. Ce retrait du voile peut constituer une perception valide de ce qui n'avait pas été perçu auparavant.

    Tout ceci semble très évident et très simple. Pourquoi y a-t-il eu un rejet aussi net de cette voie vers la connaissance? Je suppose que c'est en partie parce que ce genre de savoir-révélation ne rend pas quatre pommes visibles là ou il y en avait trois auparavant, ni que les pommes ne deviennent pas des bananes. Non! C'est plus un déplacement de l'attention, de l'organisation de la perception, du fait de remarquer ou de réaliser, qui intervient.

    Dans les Peak-Experiences, plusieurs formes de changement d'attention peuvent conduire un nouveau savoir. Par exemple, l'amour, la fascination, l'absorption peuvent fréquemment signifier "regarder intensément, avec attention" comme mentionné plus haut. D'une autre manière, la fascination peut vouloir dire grande intensité, rétrécissement et focalisation de l'attention, et résistance à toute forme de distraction, ou à l'ennui ou même à la fatigue. Finalement, ce que Bucke (10) a appelé conscience cosmique implique un élargissement de l'attention tel que le cosmos entier est perçu comme une unité, et sa propre place en son sein est également perçue.

    Ce nouveau "savoir" peut-être un changement d'attitude, évaluer la réalité d'une façon différente, voir les choses sous une nouvelle perspective, d'un point central différent. Il est possible qu'un bon nombre d'instances puissent être placées sous le titre de Gestalt-perception, c'est-à-dire de voir le chaos d'une nouvelle façon organisée -- ou de passer d'une Gestalt à une autre, de briser une allégeance ou d'en créer une nouvelle, de changer les rapports entre les motifs et le fond, de faire une meilleure Gestalt, ou en un mot une clôture de la cognition des relations et de leur organisation.

    Un autre gens de processus cognitif qui peut intervenir au cours des Peak-Experiences est la suppression de la "catégorisation" (59). La familiarisation émousse la cognition, particulièrement chez les personnes anxieuses, il est alors possible de traverser toutes sortes d'événements miraculeux sans les éprouver comme tels. Lors des Peak-Experiences, la "qualité" miraculeuse des choses peut parvenir à la conscience. Ceci est une fonction élémentaire de l'art, et pourrait aussi être étudié dans ce domaine. Ce genre de "perception innocente" est décrit dans un de mes articles (63). C'est un genre de perspicuité qui est opposé à ce que l'on pourrait appeler la "cécité normale."

    Une sous-catégorie de cette perception renouvelée de ce qui se trouve sous nos yeux est la Peak-perception du fait que les truismes sont vrais, c'est-à-dire il est merveilleux d'être compris, la vertu est gratifiante en elle-même, les couchers de soleil sont beaux, l'argent n'est pas tout, etc.. C'est "platitudes" peuvent être redécouvertes encore et encore dans les moments "Peak". Elles aussi constituent des exemples de la nouvelle profondeur et pénétration possible dans ces moments où la vie est vue fraîchement, comme pour la première fois, et comme si elle n'avait jamais été vue avant. Il en est de même pour l'expérience de la gratitude, l'appréciation de la bonne fortune, où la grâce.

    Dans l'Appendice I et à d'autres endroits dans cet essai, j'ai parlé de la perception intuitive, c'est-à-dire de la fusion entre le E-domaine et le Domaine, la fusion de l'éternel avec le temporel, du sacré et du profane, etc.. Quelqu'un a appelé ceci "l'écart démesuré entre la perception poétique de la réalité et le bon sens prosaïque, irréel." Toute personne qui ne peut pas percevoir le sacré, l'éternel, le symbolique, qui est tout simplement aveugle à un aspect de la réalité, comme je crois l'avoir amplement démontré autre part (54) et dans l'Appendice I.

    Pour la "devrait-perception," "l'ontification" et d'autres exemples du E-savoir, voir mon article "Fusions of Facts and Values" (54). La bibliographie de cet essai se réfère à la littérature sur la psychologie Gestalt pour laquelle je n'ai ici pas de place. Pour la "réduction au concret" et ses implications pour la cognition où l'abstraction dans différents sens, Goldstein (23, 24) devrait être consulté. Ceux qui éprouvent des Peak-Experiences rapportent souvent quelque chose que nous pourrions appeler un genre particulier de perception abstraite, c'est-à-dire une perception de l'essence de "l'ordre caché des choses," la texture-rayons X du monde, habituellement obscurci par les couches de non-pertinence." (39, p. 352). Mon essai sur l'isomorphisme (48) contient aussi des données utiles, dont je ne mentionnerai ici que le facteur "être digne d'expérience" ou le mériter, ou d'être la hauteur. La santé "élève" vers le plus haut niveau de réalité; les Peak-Experiences peuvent être considérées comme une auto-actualisation passagère de la personne. Elles peuvent donc être comprises comme l'élevant "plus haut", le rendant "plus grand" etc., le rendant ainsi plus "méritant" de vérités plus difficiles, c'est-à-dire seule l'intégration peut percevoir l' intégration, seul celui qui est capable d'aimer peut reconnaître l'amour, etc..

    La perception réceptive, non-interférente, Taoïste est nécessaire pour la perception de certains types de vérité (49). Les Peak-Experiences sont des états dans lesquels l'effort, l'interférence et le contrôle actif diminuent, permettant ainsi la perception Taoïste, diminuant ainsi l'effet du percepteur sur le percept. De ce fait, un savoir plus vrai (de certaines choses) peut-être attendu et a été rapporté.

    Pour résumer, les changements majeurs dans le statut du problème de la validité du E-savoir, où le savoir-illumination sont: (A) l'éloigner de la question de la réalité des anges, c'est-à-dire, par exemple naturalisant la question, (B) affirmer la validité du savoir expérimental, la validité intrinsèque de l'élargissement de la conscience, c'est-à-dire d'un champ plus vaste d'expérimentation; (C) réaliser que le savoir révélé a toujours été là, prêt à être perçu, si seulement le percepteur y avait été prêt. Ceci est un changement en perspicuité, dans l'efficacité du percepteur, dans ses lunettes, pour ainsi dire, pas un changement dans la nature de la réalité ou l'invention d'un nouveau morceau de réalité qui n'était pas là avant. Le mot "psychédélique" (élargissant la conscience) peut-être utilisé ici. Finalement (D), ce genre de savoir peut-être atteint par d'autres voies; nous ne devons pas nous appuyer seulement sur des Peak-Experiences ou des drogues produisant des Peak-Experiences pour y accéder. Il y a des façons plus sobres et laborieuses -- et donc peut-être meilleures sur la durée -- pour atteindre le savoir transcendant (E-savoir). C'est-à-dire, je pense que nous traiterons mieux le problème si nous insistons sur l'ontologie et l'épistémologie plutôt que les déclencheurs et les stimuli.

Table des Matières
Appendice E