Religions, Valeurs, et Peak-Expériences

    Abraham H. Maslow

        Chapitre V.   Espoir, Scepticisme, et la Nature Elevée de l'Homme


    

    Le point de vue qui se développe aujourd'hui rapidement -- que les valeurs spirituelles les plus élevés semblent avoir des sanctions naturelles et que des sanctions surnaturelles de ces valeurs ne sont de ce fait pas nécessaires -- soulève certaines questions qui n'ont jamais été soulevées sous cette forme auparavant. Par exemple, pourquoi donc des sanctions surnaturelles de la bonté, de l'altruisme, de la vertu de l'amour ont-elles été nécessaires?

    Bien sûr la question des origines des religions en tant que sanctions de l'éthique est terriblement complexe, et je n'ai ici nulle intention de la considérer avec légèreté. Cependant, je peux contribuer un point que nous pouvons voir aujourd'hui avec plus de clarté que jamais auparavant, c'est qu'une caractéristique de la nouvelle "troisième" psychologie est sa démonstration de la "nature élevée" de l'homme. Si nous retournons aux conceptions religieuses de la nature humaine -- et nous n'avons bien sûr pas à regarder bien loin car la même doctrine peut-être retrouvée chez Freud -- il devient limpide que toute doctrine de la dépravation innée de l'homme ou toute mise en exergue de sa nature animale conduit très facilement à des interprétations extra-humaines de la bonté, de la sanctité, de la vertu, du sacrifice de soi, de l'altruisme, etc.. S'ils ne peuvent être expliqués du point de vue de la nature humaine -- et ils doivent être expliqués -- alors ils doivent être expliqués de l'extérieur de la nature humaine. Plus l'homme est bas, plus il est conçu comme une pauvre chose, et plus un Dieu devient nécessaire. Nous pouvons aussi comprendre maintenant plus clairement qu'une source de la dégradation des croyances en des sanctions surnaturelles a été une foi croissante dans des possibilités élevées de la nature humaine (sur la base de nouvelles connaissances).[1]

    L'explication du naturelle et plus parcimonie eux et de cette faite plus satisfaisante pour les personnes cultivées que de l'explication du surnaturelle. La seconde et donc probablement une fonction inverse de la première.

    Ce processus a cependant ses coûts, particulièrement je suppose pour les portions les moins sophistiquées de la population, ou tout du moins pour les religieux les plus orthodoxes. Pour eux, comme l'ont réalisé très clairement Dostoïevski, Nietzsche et d'autres "Si Dieu est mort, alors tout est permis, tout est possible." Si la seule sanction des valeurs "spirituelles" est surnaturelle, alors ébranler ces sanctions revient à ébranler toutes les valeurs élevées.

    Ceci était particulièrement vrai au cours des récentes décennies, alors que la science positiviste -- qui est pour beaucoup la seule théorie de la science -- s'est avérée une source inadaptée d'éthique et de valeurs. La foi dans le millénaire rationaliste a aussi été détruite. L'espoir que le progrès éthique était une conséquence inévitable des progrès de la connaissance du monde naturel et des connaissances technologiques de ces progrès est morte avec la première guerre mondiale, avec Freud, avec la dépression, avec la bombe atomique. La découverte récente (61) que l'affluence elle-même révèle de la façon la plus éclatante la soif spirituelle, éthique, philosophique a été peut-être encore plus déconcertante, certainement pour les psychologues. (Il en est ainsi parce que tendre vers ce dont nous manquons nous fait inévitablement sentir que la vie a un sens et que la vie est digne d'être vécue. Mais lorsque l'on ne manque de rien, et que l'on ne tend vers rien, alors ... ?)

    Nous avons donc cette situation curieuse dans laquelle de nombreux intellectuels sont aujourd'hui sceptiques dans tous les sens du terme, mais pleinement conscients du désir d'une foi ou d'une croyance, et conscients également des terribles conséquences spirituelles (et politiques) lorsque ce désir n'est pas comblé.[2]

    Et nous avons donc à nouveau vocabulaire pour décrire la situation, des mots comme anomie, anhédonie, manque de racines, pathologie des valeurs, absence de sens, ennui existentiel, famine spirituelle, névrose du succès, etc.. (Voir Appendice E).

    La plupart des psychothérapeutes seraient d'accord avec le fait qu'une grande partie de la population de tous les pays riches -- pas seulement des États-Unis -- subissent cette situation d'absence de valeurs, bien que la plupart de ces thérapeutes parle encore superficiellement et symptomatiquement de névrose du caractère, d'immaturité, de délinquance juvénile, d'excès d'indulgence, etc..

    Une nouvelle approche de la psychothérapie, la thérapie existentielle, évolue afin de faire face à cette situation. Mais dans l'ensemble, comme la thérapie est impraticable sur des masses, la plupart des personnes vivent en privé et en public des vies misérables. Une petite proportion "retourne à la religion traditionnelle", bien que la plupart des observateurs s'accordent sur le fait que ce retour n'est probablement pas profondément ancré.

    Mais d'autres, pour le moment encore une faible proportion, trouvent dans des indications récentes de la psychologie une autre possibilité d'une foi positive, naturaliste, une "foi commune" comme l'appel John Dewey, une "foi naturaliste humaniste" comme l'appelle Erich Fromm, une psychologie humaniste comme bien d'autres l'appellent. (Voir Appendice B). Comme l'a dit John MacMurray, "nous sommes aujourd'hui à ce moment de l'histoire où il devient possible pour l'homme d'adopter consciemment comme son propre but le but qui est déjà inhérent à sa propre nature." Citées dans Man and God, ed. Gollancz (Boston, Houghton Mifflin Co., 1951) p. 49. Il y a même un journal hebdomadaire, Manas, que l'on pourrait considérer comme un organe de ce nouveau genre de foi et cette nouvelle psychologie.

 

Notes

    1. Par exemple, mes études des personnes auto-actualisantes, c'est-à-dire des personnes pleinement achevées et développées rendent clair que les êtres vivants à leur meilleur sont bien plus admirables (divins, héroïques, grands, inspirateurs, aimables, etc.) qu'on ne les a jamais considérés, dans leur propre nature. Il n'y a pas besoin d'ajouter de déterminants non-naturels pour rendre compte de la sainteté, de l'héroïsme, de l'altruisme, de la transcendance, de la créativité, etc.. Au cours de l'histoire, la nature humaine a été sous-estimée principalement du fait du manque de connaissance des capacités élevés de l'homme, de combien il peut se développer lorsque cela lui est permis. (retour)

    2. Voir le no. de février 1950 de Partisan Review sur "Religions and the Intellectuals." Voir aussi Franklin L. Baumer, Religion and the rise of Scepticism (New York, Harcourt, Brace & Co., 1960). (retour)

Table des Matières
Chapitre VI