Bien
que la planification ne soit pas une science, elle
semble être sujette à diverses « lois, » tout comme l’est une
science. Pendant des centaines d’années d’expérience dans différents
domaines, certains résultats semblent avoir suivi certaines actions avec une
constance monotone. Il est possible que l’on ne puisse attribuer de relation
étroite de cause à effet à ces actions et résultats, et peut-être les
modèles observables dans le passé ne « tiendront » pas toujours.
Nous devrons donc croiser les doigts en nous référant à ces modèles comme à
des « lois. » Et pourtant, ils semblent bien nous servir pour
établir des prédictions sur les résultats de certaines approches à la
planification, telle que nous les voyons entreprises dans différentes
organisations.
Pour mettre l’accent sur un point du début de notre
discussion qui s’avère particulièrement important ici, planifier tel que
nous le concevons a trait à des programmes concernant le changement -- le
changement de ce que fait une organisation ou de la façon dont elle opère.
Des programmes qui n’ont pour but que de continuer à faire
ce qui est déjà fait ou d’apporter uniquement des modifications
superficielles ne rentrent pas dans le champ de notre définition de la
planification. Il est également utile de rappeler que planifier tel que nous le
concevons est une façon de traiter du futur. Planifier ne veut pas dire qu’une
organisation traite du futur alors qu’autrement elle ne le ferait pas. Dans
pratiquement toute entreprise, agence gouvernementale, unité militaire,
université et groupe civique, les leaders prennent régulièrement des
décisions (ou manquent de le faire) qui ont des implications pour le futur de l’organisation.
Planifier devient simplement une technique pour guider les personnes dans l’organisation
de façon que les actions affectent le futur d’une manière cohérente et
souhaitée.
La modeste énumération de lois qui suivent est basée en
partie sur la matière décrite dans les chapitres précédents. Les chapitres
pertinents sont notés dans la discussion.
haut
Loi
1: Un programme viable répond aux besoins (a) de l’organisation formelle, (b)
des individus, et (c) des groupes.
La première des trois exigences est bien connue. Elle a en
fait préoccupé les experts en planification depuis de nombreuses années. Par
« l’organisation formelle, » nous nous référons aux nombreux
systèmes et ressources tangibles qui sont essentiels pour atteindre le but du
management -- usines, distribution, achats, le système financier, la chaîne de
commandement etc. La première partie de cette loi dit simplement qu’un bon
programme utilise ces systèmes et ces ressources effectivement pour promouvoir
un but pour lequel l’entreprise, l’agence ou l’institution a été
organisée. Ce faisant, le programme satisfait certains des besoins qui
ont rassemblé les personnes; par exemple, elles éprouvent une certaine
loyauté envers l’organisation et souhaitent la voir performer honorablement
dans son domaine.
La seconde et la troisième exigence de cette loi sont
également bien établies mais pour diverses raisons ont été couramment
oubliées dans la littérature sur la planification. La loi dit qu’il n’est
pas suffisant qu’un programme soit effectif en termes d’usines, de
distribution, d’achats, de systèmes financiers, de chaîne de commandement et
autres; il doit aussi satisfaire les besoins des décisionnaires et des
initiateurs d’actions en tant qu’individus et en tant que membres de
groupes. Dans l’industrie, par exemple, plus d’un programme marketing a
été entravé par un directeur des ventes qui ne voyait pas d’avantage à lui
prêter son support. Il pensait que le programme était en conflit avec la
façon dont il percevait que son travail devait être fait ou avec ses
aspirations en matière de statut ou de rémunération. Et donc le programme
était en conflit avec ses besoins en tant qu’individu. De façons tout aussi
simples la planification peut entrer en conflit avec ses loyautés en tant que
membre d’un groupe informel. Par exemple, un nouveau Directeur du Marketing
arrive et fournit au Directeur des Ventes un fort intérêt personnel pour
supporter le programme, mais commence à dégrader ou à licencier d’autre
directeurs qui sont -- comme le Directeur des Ventes -- des « vieux de la
vieille » dans l’entreprise. (Ces changements de personnel font tous
partie du programme du nouveau Directeur du Marketing) L’ire du Directeur des
Ventes est donc attisée et -- par loyauté pour les « vieux de la
vieille, » commence à agir d’une manière qui paraît déraisonnable au
Directeur du Marketing.
Quelquefois, certaines personnes demandent lequel des trois
besoins est le plus important. Ceci revient à demander quelle patte est la plus
importante parmi celles d’un tabouret à trois pattes. Tous les besoins sont
importants, tous sont interdépendants, et aucun ne peut se prévaloir d’être plus
important que les autres. Pendant une période de temps longue, le plan ne peut
pas rester viable sans qu’il soit répondu adéquatement à chacun des trois
besoins. En fait, Paul Lawrence, dont l’étude d’un vaste programme de
changement dans une chaîne de magasins d’alimentation de détail a produit la
première formulation des relations décrites ci-dessus, pense que le fait de se
focaliser sur un ensemble de besoins à l’exclusion des autres peut conduire
à une « perversion » du projet. « La perversion est créée
car tout effort unidimensionnel conduit à l’atrophie des autres. »1
1 The
Changing of Organizational Belhavior Patterns, op. Cit., p. 215.
haut
Corollaire
1 A: Le plan parfait n’est pas parfait du point de vue organisationnel,
individuel, ou du groupe.
Ceci arrive car l’organisation, les individus et les
groupes imposent de façon caractéristique des exigences conflictuelles sur un
programme. De ce fait, les leaders ont besoin de faire des compromis s’ils
veulent maintenir la satisfaction des trois buts dans un équilibre dynamique
acceptable. Le plan résultant, bien que n’étant pas idéal d’aucun des
trois points de vue, répond suffisamment aux besoins principaux pour rendre
possible l’accomplissement d’un progrès réel.
haut
Corollaire
1 B: Les trois besoins devraient être gardés à l’esprit pendant la
conception et le dessin d’un programme aussi bien que pendant son exécution.
Pour emprunter des termes couramment utilisés dans la
littérature sur la planification, il est important aussi bien en planification
stratégique qu’en planification opérationnelle ou tactique d’observer la
nature triple d’un programme sain. Ceci permettre d’éviter de nombreux
retours en arrière, compromis de dernière minute et changements désespérés
-- problèmes qui surgissent trop souvent lorsque les planificateurs se
préoccupent d’un ou de deux besoins, mais oublient le troisième. De même,
cette approche rendra possible une administration plus agressive et positive d’un
plan. En réexaminant l’étude de son cas, Lawrence observait qu’une attaque
multi-dimensionnelle aurait aidé les dirigeants à « maintenir un sens de
cohérence dans leur comportement » et les aurait préparés à
« traiter les nombreuses sources de résistance. »
Voir chapitres 3, 5, 6, 7, 8, et 12.
haut
Loi
2: La planification effective est de la planification incomplète.
Trop de planification et d’ingénierie du détail - que ce
soit de l’ingénierie « organisationnelle » ou de l’ingénierie
« humaine » pour utiliser les appellations courantes -- a une
influence pesante et entravante sur un programme d’action plutôt qu’une
influence « lubrifiante. » Elles peuvent même condamner
irrémédiablement un programme à l’échec. De ce fait, la sur-planification
est de la mauvaise planification. Le diagramme suivant représente une tentative
de représentation schématique de cette loi.
La forme exacte de la courbe varie bien sûr d’une
situation à une autre, selon la sophistication de l’organisation en matière
de planification, l’urgence perçue de planifier, la complexité du problème
à planifier, et de nombreux autres facteurs. Mais la notion générale qui est
décrite devrait rester valide dans la plupart des situations.
Pourquoi la planification effective est-elle de la
planification incomplète? Les raisons ont trait au côté humain et peuvent
être déduites du matériel présenté auparavant. Tout d’abord, un programme
qui est prévu jusqu’au dernier détail dénie aux personnes plus bas dans la
hiérarchie ce qu’elles souhaitent le plus -- un sens de participation dans le
programme, un « morceau de l’action. » Au cours d’un voyage
Apollo vers la lune, il est attendu des astronautes qu’ils agissent comme des
robots améliorés et aucun détail qui puisse être anticipé n’est laissé
au hasard. Mais ceci est en fait un triomphe d’ingénierie (bien que nous
puissions le considérer comme une prouesse de planification dans une discussion
de néophytes). En développant des buts pour un programme Apollo et en
assignant des équipes de scientifiques, d’ingénieurs, d’experts en
comportement, d’astronomes et d’autres pour produire un véhicule et le
lancer -- c’est là ou s’accomplit la vraie planification -- une grande
liberté est laissée aux personnes impliquées, et la planification est bien
entendu incomplète.
En second lieu, si un programme est conçu pour produire le
changement, il va sans aucun doute produire l’inattendu en chemin. Ceux qui le
mettent en œuvre vont faire face à des problèmes nouveaux ou inconnus à
résoudre. De ce fait, si le planificateur essaye de spécifier en avance
comment traiter l’inattendu, il va à l’encontre de son propre but. Un
éditeur que je connais observe: « Par l’une de ces petites ironies
existentielles qui nous poussent à rester sur la pointe des pieds, plus un
planificateur est sophistiqué, plus son plan est solide et complet, plus il
fait preuve d’inertie et de stupidité face à la surprise, et plus il inhibe
de réponses saines chez l’individu qui est saisi par la surprise. »
On a récemment demandé à Erza Merrill, le dirigeant de H.
P. Hood & Sons, de commenter un cas de panification publié par le Harvard
Business Review. Le cas concernait les efforts d’un nouveau président d’entreprise
pour formuler des stratégies explicites pour une entreprise qui avait
précédemment été dirigée de manière ad hoc par son fondateur. La critique
de Merrill est révélatrice. Il suggère quelques étapes à suivre par le
nouveau dirigeant afin de faire que ses directeurs pensent plus en termes de
planification stratégique, et il recommande des séances de
« brainstorming » consacrées à des questions « et si
... » afin que les personnes de l’organisation entament des préparatifs
sur la façon dont elles traiteront elles-mêmes les surprises. Mais Merrill est
manifestement contre le fait d’avoir des plans détaillés établis pour
guider les managers. Il remarque:
La planification stratégique contient sa part de magie et
plus qu’un peu de chance, et elle ne doit jamais être prise trop au sérieux.
Je veux dire par là que bien que l’exercice soit essentiel, sa qualité
dépend de l’étincelle créative qui est créée, et les planificateurs
doivent toujours être alertes et rechercher la circonstance imprévue, incluant
peut-être même des déviations, qui enrichira leur contribution bien au-delà
de leur planification planifiée à son meilleur.
See Robert Mainer, "The Case of the
Slippery Strategy," May-June, 1968 p. 180.
haut
Corollaire
2 A: La quantité optimale de détail est à peu près proportionnelle à l’expérience
de l’organisation en matière de planification.
Si l’agence gouvernementale ou l’entreprise est une
nouvelle venue à la planification, le sommet de la courbe en figure 1 doit
être déplacée vers la gauche. Une telle organisation ne peut avoir ni les
compétences ni une tolérance intrinsèque pour la planification, et les
planificateurs devront avancer lentement aussi bien sur le champ que sur le
contenu des programmes de changement. Robert Schaffer de la firme Robert
Schaffer & Associates à Stanford, Connecticut est le défenseur le plus en
vue de cette conviction. Dans une grande variété de situations -- hopitaux,
petites entreprises, grandes entreprises ou autres organisations qui en sont à
leurs débuts en matière de planification -- il a démontré combien la
planification est plus efficace si elle commence par les problèmes immédiats,
les soucis d’aujourd’hui plutôt que ceux de demain. Alors et seulement
alors l’organisation commence à développer la capacité d’envisager des
stratégies plus ambitieuses et des programmes de changement.
haut
Corollaire
2 B: Moins les subordonnés d’un planificateur sont capables et dignes de
confiance, et moins celui-ci peut planifier de quelque façon que ce soit.
Ceci vient du fait qu’il doit surveiller et diriger les
activités de ces subordonnés si étroitement qu’il ne peut leur allouer la
liberté requise s’il doit diriger un programme important ou ambitieux. L’argument
le plus fort en faveur de la ''Théorie Y'' de Douglas McGregor -- l’approche
libérale et relativement généreuse au partage de l’autorité -- est qu’elle
force les leaders de l’organisation soit à donner aux subordonnés un
« morceau de l’action, » soit à choisir des subordonnés en qui
ils peuvent avoir confiance et à qui ils peuvent donner la
liberté, créant ainsi une condition essentielle à la planification
vigoureuse. Par la même occasion, la critique la plus dommageable à la
"Théorie X" -- la philosophie de contrôle étroit, rigide et
régimenté -- est la perte qu’elle représente en possibilité de
planification. 4
4 Douglas
McGregor, The Human Side of Enterprise (New York, Mc-Graw-Hill Book
Company, Inc., 1961).
(Il est à remarquer, au passage, que l’inverse de ce
corollaire n’est pas vrai. Par exemple, les astronautes d’une mission Apollo
vers la lune sont des personnes aussi capables et dignes de confiance que l’on
puisse trouver, et pourtant leur mission doit être largement plus
« programmée » que planifiée. Ceci vient du fait que le nombre
relativement faible de surprises qu’ils peuvent rencontrer sont si cruciales.)
Voir chapitres 3, 1l, et 13.
haut
Loi
3: Tout plan bien conçu est obsolète au moment ou il est utilisé.
Ceci vient du fait que toute organisation dans la société
moderne est constamment en changement. Les conditions qui l’entourent
changent, les problèmes varient, les personnes qui la composent deviennent plus
vieux ou plus jeunes, etc. De ce fait, si un plan est parfaitement ajusté aux
conditions au moment ou il est conçu, il sera désaccordé avant même que le
premier effort soit fourni pour le mettre en œuvre. S’il est conçu pour
être en accord avec les conditions telles qu’elles sont anticipées d’ici
cinq ans, il est aussi obsolète après la première semaine car chaque
condition ne peut en aucun cas être anticipée correctement et la chaîne d’évènements
conduisant aux erreurs est déjà en marche.
La validité de cette loi ne repose pas seulement sur les
réalités humaines ou matérielles de la planification mais sur l'interaction
entre les deux. Duncan E. Littlefair observe: "La vie n’est pas quelque
chose qui se construit systématiquement, en ajoutant un morceau ici et là. Si
vous touchez une partie quelconque d’un organisme, vous touchez son ensemble.
Vous faites un petit changement, et vous changez l’ensemble dans une certaine
mesure. "5 Ceci s’applique aussi bien aux organisations qu’aux
individus.
5 "The More Things Change, "
Fountain Street Church, Grand Rapids, Michigan, February 25, 1968.
Le mouvement de la planification dans les nations
industrielles serait grandement amélioré si cette limitation chronique à la
planification pouvait être plus largement appréciée. De quand datent les
espoirs Utopiques en matière de planification est quelque chose que j’ignore
-- probablement du début du dix-neuvième siècle, sinon d’avant. D’une
façon comme d’une autre, ils persistent, handicapant le planificateur en
faisant peser sur lui un fardeau impossible. « Je suis affligé à
jamais, » écrivait Arthur D. Trottenberg, qui avait été un
planificateur de la faculté pour l’Université de Harvard, « par la
recherche éternelle pour un ‘plan d’ensemble’ -- cette merveilleuse
ordonnance permanente de personnes, argent, espace, et immeubles, dans lequel
chacun aurait un fauteuil Roche-Bobois, une place de parking, et les trains
seraient toujours, toujours à l’heure. »6
6 Harvard Alumni Bulletin, November 7,
1964.
haut
Corollaire
3 A: Le seul plan qui peut être 100 pour cent à jour est un plan qui a été
conçu dans l’erreur.
Par exemple, les planificateurs peuvent avoir
pensé
qu’une réduction de coûts de 10 pour cent était réaliste; elle n’était
en vérité pas réaliste alors et aucun changement de circonstance n’était
prévisible, mais l’inattendu peut s’être produit qui a fait qu’une
réduction de 10 pour cent est devenue envisageable.
Voir chapitres 2 et 3.
haut
Loi
4: Planifier crée de l’antiplanification.
Les actes mêmes de planification, même de planification
hautement compétente et d’efforts additionnels de planification une fois le
processus établi, créent de nouvelles « unités » d’antiplanification.
Ces « unités » ne sont pas mesurables, et donc le terme doit être
utilisé en tant que métaphore. Mais la situation est similaire à la loi
physique de Newton selon laquelle pour chaque force il y a une réaction égale
et opposée; c’est-à-dire que pour chaque force de planification qui peut
être trouvée il y a une réaction opposée ou force d’antiplanification. On
pourrait spéculer que si l’on pouvait mesurer cette force, on constaterait qu’elle
est égale ainsi qu’opposée à la force de planification.
Bien que nous ne puissions pas mesurer la réaction d’antiplanification,
nous savons qu’elle existe. Les formes courantes de l’évidence sont des
délais causés par l’homme à des programmes hautement nécessaires, l’hostilité
envers de nouveaux actes de planification, l’hostilité envers les
planificateurs, de vagues manifestations de mécontentement vis-à-vis d’un
programme, des délais irraisonnables dans sa mise en œuvre, des démissions
inattendues -- symptômes qui sans aucun doute sont fréquemment attribués à
des erreurs de planification ou à un mauvais management, mais pas toujours, et
qui donc représentent quelquefois des phénomènes plus basiques, puisqu’ils
semblent toujours exister et ne jamais être totalement éliminés.
Dans un chapitre précédent, nous avons vu plusieurs raisons
pour lesquelles les employés résistent à la planification -- peur de ses
implications, hésitation à abandonner des routines opérationnelles, et souci
pour les risques associés aux nouveaux programmes. Même si ces sentiments n’existaient
pas, l’antiplanification serait toujours produite du fait d’instincts
basiques inhérents à la nature humaine. Trois d’entre eux en particulier
doivent être notés. Tout d’abord, un membre de l’organisation attire l’attention
sur lui en réagissant négativement à des actes positifs de planification. Son
opposition est une méthode subtile d’affirmer son individualité. Selon sa
maturité et sa compréhension de soi, il peut supprimer la tentation de s’opposer
et, a toutes fins utiles, coopérer vigoureusement à des projets de
planification. Il ressent néanmoins la réaction négative et l’héberge d’une
certaine façon. Elle peut surgir à nouveau un jour quelconque sous une forme
totalement différente, tel que l’insatisfaction de la vie organisationnelle,
ou un désir de changer de travail, ou l’animosité envers telle ou telle
personne.
Deuxièmement, une réaction négative à un acte positif de
planification satisfait la tendance naturelle à blesser le planificateur. C’est
une façon de se « venger » sur lui; c’est une arme. Ici encore,
la réaction peut être si complètement internalisée qu’elle n’interfère
pas avec la coopération -- mais elle ressurgira d’une certaine façon, à un
certain moment, et le fait même de l’héberger fournit une certaine forme de
satisfaction. (Ce désir de blesser est, bien entendu, tout à fait similaire au
désir de blesser un parent, un ami, un être cher que connaît tout
psychologue.)
Troisièmement, des réactions négatives à des actes
positifs de planification satisfont le désir d’éviter la responsabilité et
d’échapper aux tensions qui vont de pair avec la responsabilité. Le
management fait peser des charges considérables sur l’individu lorsqu’il s’y
implique, et la planification en tant que méthode avancée de management fait
peser sur lui des charges particulièrement lourdes. Même les meilleurs
managers se rebellent contre ces charges de temps en temps. Les explosions
peuvent ne pas révéler tous ses « anti-sentiments » contre la
planification ou plus qu’une fraction d’entre eux; si c’est le cas, ses
sentiments seront certainement canalisés d’une autre façon.
Certains lecteurs reconnaîtront une similitude entre ce qui
précède et le « désir de mort » tel qu’il est décrit par les
psychologues et les philosophes. L’argument présenté est en fait adapté à
partir de la psychologie. L’antiplanification sous-jacente est la même
tendance profond à l’extinction et à la tragédie que celle qui a été
observée dans de nombreux aspects des rapports humains. L’antiplanification
est simplement le désir de mort appliqué à la vie organisationnelle, sans
planification, l’organisation devient plus facilement victime dans un monde
difficile. Nous ne comprenons pas ce désir de mort, remarque Littlefair. Il
ajoute:
Nous offrons des solutions mythiques pour justifier notre
culpabilité, mais il y a chez l’homme en tant que créature naturelle quelque
chose qui répond à l’extinction, à de plus bas niveaux, et à la mort. Les
hauteurs auxquelles nous nous sommes élevés sont des hauteurs périlleuses, et
elles requièrent toute la détermination et l’énergie et l’intelligence
que nous pouvons rassembler pour nous y maintenir. Nous nous fatiguons et nous
recherchons des niveaux toujours plus bas. Il y a en l’homme quelque chose qui
veut retourner à ce dont il vient, la grande mer indistincte et inconnue d’inconscience.
7
7 « Strange Defeat, » Fountain
St!eet Church, Grand Rapids, Michigan. January 14, 1968.
Les hauteurs auxquelles se réfère Littlefair ne sont nulle
part aussi périlleuses que dans l’organisation moderne, avec les exigences
implacables qu’elle fait peser sur l’individu de plus de productivité, d’amélioration,
de détermination et, en même temps, de coopération sociale et d’autodiscipline.
Il doit être rajouté au passage que l’opposé de cette loi n’est pas
valide; c’est-à-dire que l’antiplanification ne crée pas de planification.
Voir chapitres 4 et 12.
haut
Loi
5: Le planificateur qui est effectif sur une période de temps significative a
un pouvoir politique.
Si le leader de la planification n’est pas capable d’obtenir
que les autres fassent ce qu’il veut (c’est ce que nous voulons dire par
pouvoir), la planification ne peut pas représenter grand chose dans l’organisation
pendant bien longtemps. Même si elle satisfait les ambitions les plus élevées
de l’homme -- de créer, d’accomplir, d’atteindre la plénitude, de vivre
avec l’excitation du challenge -- elle représente une trop grande menace pour
le statu quo et « l’establishment » pour survivre grâce à ses
seuls mérites en tant qu’idée. La planification ne peut connaître que des
victoires sporadiques sans le soutien du pouvoir. Par exemple, les membres d’une
organisation peuvent y souscrire volontairement pendant une période de crise ou
lorsqu’ils sont sous le charme d’un planificateur qui est un super-vendeur.
Mais une fois le charme passé, la planification est finie.
Pour pouvoir prédire le rôle et le devenir futurs de la
planification dans une entreprise, organe de gouvernement ou armée, vous devez
donc déterminer qui est le leader de la planification (c’est à dire
la personne du plus haut rang qui consacrera un temps et une énergie
substantielle à établir des buts et des programmes et à s’assurer de leur
exécution). Si c’est une personne qui a un pouvoir politique significatif,
vous pouvez raisonnablement prédire un rôle influent pour la planification si
elle utilise le pouvoir de manière informée. Mais si c’est une personne qui
ne dispose pas de ce pouvoir -- qui opère principalement en capacité de
conseil, par exemple, ou qui a un statut important mais ne peut pas
« faire bouger » les autres décisionnaires -- alors vous pouvez
considérer que le potentiel de la planification est faible dans cette
organisation. Vous pouvez conclure ceci même si le leader de la planification
occupe un cadre valorisant sur l’organigramme et est intelligent, perceptif,
informé et consciencieux.
Voir chapitres 9, 10, 12, 13, et 14.
haut
Loi
6: Une bonne planification ne réussit pas toujours.
La raison est qu’il y a trop d’autres
« variables, » trop d’évènements en dehors du pouvoir du
planificateur qui peuvent entraver ou déranger le programme le plus
ingénieusement conçu. En fait, nous pourrions aller plus loin et dire que la
planification de devrait pas toujours réussir. Les bons plans acceptent les
risques, et donc certains échouent nécessairement. Si une organisation a 100
pour cent de chances de succès dans l’accomplissement de nombreux programmes,
vous pouvez être raisonnablement certain qu’elle n’a pas pris de risques et
donc qu’elle « ne joue pas dans la cour des grands » en termes de
planification.
haut
Corollaire
6A: La mauvaise planification n’échoue pas toujours.
Un programme peut être basé sur des suppositions
indéfendables; ou certaines d’entre elles peuvent être incohérentes; la
pensée qui les sous-tend peut être simpliste. Mais toutes ces erreurs seront
oubliées dans les livres d’histoire si le destin est suffisamment favorable
au projet.
Un cas classique qui illustre ceci est l’invasion d’Angleterre
par Guillaume le Conquérant. Si, début Septembre 1066, Guillaume avait
examiné les défenses navales organisées par le Roi Harold d’Angleterre, il
aurait découvert une formidable flotte patrouillant la manche. Cette flotte,
qui avait patrouillé tout l’été en anticipation d’une invasion Normande
aurait pu détruire la flotte de Guillaume. Manifestement, dans sa
planification, Guillaume aurait dû envoyer de nombreux éclaireurs et établir
dans le détail comment opérait la flotte du Roi Harold. Mais il ne le fit pas;
il lança simplement son invasion aussitôt qu’il le put sans aucune
vérification. Son armée arriva en Angleterre le 25 Septembre sans problèmes
car, sans qu’il en ait rien su, les vaisseaux de Harold étaient retournés à
Londres et à leurs autres ports peu avant. Il semble que Harold avait permis
que sa flotte retourne chez elle car elle s’ennuyait du fait de l’inactivité
et menaçait de se mutiner. De plus, les délais de l’invasion Normande
avaient conduit Harold à croire par erreur que Guillaume avait abandonné son
plan. Guillaume n’avait aucun de ces renseignements lorsqu’il a pris la mer.
(Sur d’autres points, comme nous l’avons vu plus tôt, Guillaume avait
cependant fait sa planification correctement.)
Voir Chapitres 2 et 4.
haut
Loi
7: Le fait même de planifier change la situation dans laquelle l’organisation
évolue.
Cette loi, qui défie toute logique et mystifie les penseurs
analytiques, peut être démontrée pratiquement à n’importe quel moment dans
un groupe de travail ou une entreprise d’à peu près n’importe quelle
taille. Elle veut dire que les managers peuvent altérer les conditions qui
affectent le progrès de leurs programmes -- peuvent en fait modifier les
probabilités de succès en impliquant les personnes dans des activités de
planification aussi routinières que de discuter de quels programmes sont
souhaitables, se demander qui devrait assurer le déroulement des programmes et
quand, rassembler des données sur ces questions, guider l’organisation à
atteindre l’accord sur les buts et les programmes, et guider les personnes à
prendre des engagements personnels pour les projets.
Cette septième loi fait référence au fait que si les
personnes sont convaincues qu’un certain but est réalisable, elles trouveront
des moyens de l’atteindre qui leur paraîtront dignes d’y travailler,
quelque soit la futilité de ces moyens aux yeux de toute autre personne. Si
elles en viennent à penser qu’un certain programme d’action est prometteur,
elles trouveront le dur travail de préparation gratifiant, quoi qu’elles
aient pu penser de ridicule du dur travail de préparation avant d’être
convaincus de l’intérêt du programme. Si elles croient que l’on peut
confier plus de responsabilités à certaines personnes comme moyen de faire
fonctionner un plan, elles verront plus de démonstration de responsabilité
dans la façon dont les individus font leur travail, même si des observateur
éduqués qui n’ont pas cette conviction ne voient aucune évidence de ce
genre dans les habitudes de travail des individus.
Bien sûr, il n’y a ici rien de nouveau; ce fait a été
couramment décrit comme « self-fulfilling prophecy, »
« self-validating belief, » ou encore « la méthode
coué. » Ce qui est moins connu, c’est qu’il s’applique avec une
force toute particulière à la planification. Par sa nature même, planifier
implique de changer l’image que les personnes ont de la réalité et de
changer leurs visions du futur. Les personnes voient leur organisation, leurs
collaborateurs, les opportunités pour leurs groupes de la façon dont ils
désirent les voir, et planifier est une manière d’altérer ces désirs. Les
personnes influencent la destinée de leurs organisations par les attitudes et
considérations qu’ils adoptent, et planifier constitue une façon de
« vendre » certaines attitudes et les considérations.
Dans un sens, cette loi de la planification est la plus
remarquable. Elle veut dire que les leaders peuvent « se soulever
eux-mêmes par leurs bretelles » -- se faire progresser au moins un peu
vers leurs buts en changeant simplement, par la planification, leurs propres
perceptions et celles des autres de la réalité et des possibilités. On peut
découvrir plus tard que le plan était erroné, ou des erreurs et événements
intervenant plus tard peuvent le rendre irréalisable, mais même alors, l’échec
sera perçu d’une façon différente du fait des actes de planification
initiale. Une partie de la planification la plus tragique et erronée de l’histoire
a réussi, malgré toutes ses erreurs, à causer des dégâts considérables
dans le monde précisément pour cette raison., parce que les processus auxquels
les personnes avaient été incitées à participer changeaient leurs
perceptions du but du travail, de la réalité et de l’échec. Observons la
conviction qui a conduit pendant si longtemps l’armée Rouge à atteindre les
objectifs de Mao et l’a rendu insensible aux centaines de signes de la
futilité, de l’impossibilité et de l’irréalité de ses programmes.
Un exemple plus heureux est une entreprise militaire
Américaine qui a accompli un objectif apparemment impossible face à de
nombreux obstacles. J’ai demandé à de nombreux leaders de l’entreprise
combien de leur succès retentissant ils attribuaient à la planification.
« Une partie, mais pas beaucoup, » m’ont-ils répondu.
« Notre planification n’était pas très bonne, et nous la changions
tout le temps. » Puis il réfléchissaient plus avant et se reprenaient.
« Mais planifier nous faisait penser positivement, » ajoutaient-ils,
« et cela était tout. Nous travaillons en revenant en arrière à partir
d’une cible en petites étapes pour voir ce qui avait besoin d’être fait,
puis nous regardions une étape à la fois et décidions que nous pouvions le
faire si nous essayions vraiment. Nous finissions par nous convaincre que nous
ne pouvions pas échouer. » Planifier altérait leurs perceptions à un
point tel qu’ils se lancèrent dans une tâche qui était
« impossible » à accomplir! De nombreux accomplissement étonnants
par des entreprises industrielles pourraient être expliqués dans des termes
pratiquement identiques.
Voir chapitres 7, 8 et 12.
haut
Avancées Futures
La percée à venir viendra du côté humain. Elle viendra
parce que les planificateurs persistent à approcher la dimension humaine de la
même façon basique que la façon qu’ils ont apprise d’approche les
dimensions matérielle et contractuelle.
En finance, production, distribution, relations
industrielles, et autres domaines concomitants, la planification a été
utilisée par les leaders d’organisations comme un instrument pour avoir
eux-mêmes et leurs équipes une meilleure prise sur la réalité. Planifier a
été utilisé comme un outil pour analyser les prospects et les possibilités,
pour montrer ce qui a besoin d’être fait de façon réaliste pour avancer sur
une distance souhaitée dans une direction souhaitée. Le Directeur Financier ne
généralise pas, « je suppose que nous pouvons obtenir assez d’argent
pour soutenir cette expansion planifiée de moyens de production, » ce qu’il
aurait pu faire sans la discipline de planification. Au lieu de cela, il parle
avec les personnes de l’entreprise et les prêteurs, il projette les cash
flows probables, les taux d’intérêts, les risques, les contingences et d’autres
facteurs; il utilise des formules, des ordinateurs et peut-être de la
simulation; il trace un modèle mois par mois des possibilités que l’entreprise
soit en fait probablement capable de financer l’expansion envisagée.
Par contraste, en ce qui concerne la dimension humaine, nous
avons tendu à suivre une approche primitive, nous satisfaisant de
généralités préconçues telles que « un plan qui est bon pour l’entreprise
est bon pour tous les employés » ou « nos équipes vont être sous
pression, mais elles produiront si on leur explique le problème. » De
telles généralisations hâtives masquent les faits humains au leader de la
planification tout comme « je suppose que nous pouvons obtenir assez d’argent »
lui masquerait des faits financiers vitaux. La dimension humaine doit être
analysée. Quels individus et quels groupes seront approchés? Quand et dans
quel ordre? De quelle manière et avec quels types d’incitations et de
pressions? Ou se trouveront le plus probablement les « personnes à
problèmes, » et quelles décision pourrions-nous prendre maintenant qui
pourraient soulager ou aggraver ces problèmes? Que nous apprend l’expérience
d’autres organisations ou entreprises sur le fait de planifier de telle ou
telle façon?
Une telle approche analytique du côté humain n’offre
aucune garantie de succès lorsque l’on entreprend. Ce qu’elle offre est l’assurance
que les réalités seront mieux appréhendées -- idéalement un éventail plus
vaste et plus profond de réalités qu’il ne serait possible sans planifier.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit en matière de planification: penser
en avant en termes de réalités au lieu de fantaisies. L’organisation
énergique peu aujourd’hui choisir parmi une infinie variété d’opportunités
bien réelles. Dans pratiquement tous les domaines -- dans l’industie, l’éducation,
le gouvernement, la santé -- les possibilités sont suffisament vastes pour que
les organisations puissent devenir ce qu’elles choisissent de devenir.
La bataille de Waterloo a été gagnée sur les terrains de jeux d’Eton.
Arthur Wellesley, Duc de Wellington
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