Loi 1:   Un programme viable répond aux besoins (a) de l’organisation formelle, (b) des individus, et (c) des groupes.
Corollaire 1 A:  Le plan parfait n’est pas parfait du point de vue organisationnel, individuel, ou du groupe.
Corollaire 1 B Les trois besoins devraient être gardés à l’esprit pendant la conception et le dessin d’un programme aussi bien que pendant son exécution.

Loi 2: 

La planification effective est de la planification incomplète.

Corollaire 2 A:

La quantité optimale de détail est à peu près proportionnelle à l’expérience de l’organisation en matière de planification.

Corollaire 2 B: Moins les subordonnés d’un planificateur sont capables et dignes de confiance, et moins celui-ci peut planifier de quelque façon que ce soit.
Loi 3:  Tout plan bien conçu est obsolète au moment ou il est utilisé.
Corollaire 3 A: Le seul plan qui peut être 100 pour cent à jour est un plan qui a été conçu dans l’erreur.
Loi 4:   Planifier crée de l’antiplanification.
Loi 5:   Le planificateur qui est effectif sur une période de temps significative a un pouvoir politique.
Loi 6:  Une bonne planification ne réussit pas toujours.
Corollaire 6A: La mauvaise planification n’échoue pas toujours.
Loi 7:   Le fait même de planifier change la situation dans laquelle l’organisation évolue.

 

Bien que la planification ne soit pas une science, elle semble être sujette à diverses « lois, » tout comme l’est une science. Pendant des centaines d’années d’expérience dans différents domaines, certains résultats semblent avoir suivi certaines actions avec une constance monotone. Il est possible que l’on ne puisse attribuer de relation étroite de cause à effet à ces actions et résultats, et peut-être les modèles observables dans le passé ne « tiendront » pas toujours. Nous devrons donc croiser les doigts en nous référant à ces modèles comme à des « lois. » Et pourtant, ils semblent bien nous servir pour établir des prédictions sur les résultats de certaines approches à la planification, telle que nous les voyons entreprises dans différentes organisations.

Pour mettre l’accent sur un point du début de notre discussion qui s’avère particulièrement important ici, planifier tel que nous le concevons a trait à des programmes concernant le changement -- le changement de ce que fait une organisation ou de la façon dont elle opère.

Des programmes qui n’ont pour but que de continuer à faire ce qui est déjà fait ou d’apporter uniquement des modifications superficielles ne rentrent pas dans le champ de notre définition de la planification. Il est également utile de rappeler que planifier tel que nous le concevons est une façon de traiter du futur. Planifier ne veut pas dire qu’une organisation traite du futur alors qu’autrement elle ne le ferait pas. Dans pratiquement toute entreprise, agence gouvernementale, unité militaire, université et groupe civique, les leaders prennent régulièrement des décisions (ou manquent de le faire) qui ont des implications pour le futur de l’organisation. Planifier devient simplement une technique pour guider les personnes dans l’organisation de façon que les actions affectent le futur d’une manière cohérente et souhaitée.

La modeste énumération de lois qui suivent est basée en partie sur la matière décrite dans les chapitres précédents. Les chapitres pertinents sont notés dans la discussion.

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Loi 1: Un programme viable répond aux besoins (a) de l’organisation formelle, (b) des individus, et (c) des groupes.

La première des trois exigences est bien connue. Elle a en fait préoccupé les experts en planification depuis de nombreuses années. Par « l’organisation formelle, » nous nous référons aux nombreux systèmes et ressources tangibles qui sont essentiels pour atteindre le but du management -- usines, distribution, achats, le système financier, la chaîne de commandement etc. La première partie de cette loi dit simplement qu’un bon programme utilise ces systèmes et ces ressources effectivement pour promouvoir un but pour lequel l’entreprise, l’agence ou l’institution a été organisée. Ce faisant, le programme satisfait certains des besoins qui ont rassemblé les personnes; par exemple, elles éprouvent une certaine loyauté envers l’organisation et souhaitent la voir performer honorablement dans son domaine.

La seconde et la troisième exigence de cette loi sont également bien établies mais pour diverses raisons ont été couramment oubliées dans la littérature sur la planification. La loi dit qu’il n’est pas suffisant qu’un programme soit effectif en termes d’usines, de distribution, d’achats, de systèmes financiers, de chaîne de commandement et autres; il doit aussi satisfaire les besoins des décisionnaires et des initiateurs d’actions en tant qu’individus et en tant que membres de groupes. Dans l’industrie, par exemple, plus d’un programme marketing a été entravé par un directeur des ventes qui ne voyait pas d’avantage à lui prêter son support. Il pensait que le programme était en conflit avec la façon dont il percevait que son travail devait être fait ou avec ses aspirations en matière de statut ou de rémunération. Et donc le programme était en conflit avec ses besoins en tant qu’individu. De façons tout aussi simples la planification peut entrer en conflit avec ses loyautés en tant que membre d’un groupe informel. Par exemple, un nouveau Directeur du Marketing arrive et fournit au Directeur des Ventes un fort intérêt personnel pour supporter le programme, mais commence à dégrader ou à licencier d’autre directeurs qui sont -- comme le Directeur des Ventes -- des « vieux de la vieille » dans l’entreprise. (Ces changements de personnel font tous partie du programme du nouveau Directeur du Marketing) L’ire du Directeur des Ventes est donc attisée et -- par loyauté pour les « vieux de la vieille, » commence à agir d’une manière qui paraît déraisonnable au Directeur du Marketing.

Quelquefois, certaines personnes demandent lequel des trois besoins est le plus important. Ceci revient à demander quelle patte est la plus importante parmi celles d’un tabouret à trois pattes. Tous les besoins sont importants, tous sont interdépendants, et aucun ne peut se prévaloir d’être plus important que les autres. Pendant une période de temps longue, le plan ne peut pas rester viable sans qu’il soit répondu adéquatement à chacun des trois besoins. En fait, Paul Lawrence, dont l’étude d’un vaste programme de changement dans une chaîne de magasins d’alimentation de détail a produit la première formulation des relations décrites ci-dessus, pense que le fait de se focaliser sur un ensemble de besoins à l’exclusion des autres peut conduire à une « perversion » du projet. « La perversion est créée car tout effort unidimensionnel conduit à l’atrophie des autres. »1

1 The Changing of Organizational Belhavior Patterns, op. Cit., p. 215.

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Corollaire 1 A: Le plan parfait n’est pas parfait du point de vue organisationnel, individuel, ou du groupe.

Ceci arrive car l’organisation, les individus et les groupes imposent de façon caractéristique des exigences conflictuelles sur un programme. De ce fait, les leaders ont besoin de faire des compromis s’ils veulent maintenir la satisfaction des trois buts dans un équilibre dynamique acceptable. Le plan résultant, bien que n’étant pas idéal d’aucun des trois points de vue, répond suffisamment aux besoins principaux pour rendre possible l’accomplissement d’un progrès réel.

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Corollaire 1 B: Les trois besoins devraient être gardés à l’esprit pendant la conception et le dessin d’un programme aussi bien que pendant son exécution.

Pour emprunter des termes couramment utilisés dans la littérature sur la planification, il est important aussi bien en planification stratégique qu’en planification opérationnelle ou tactique d’observer la nature triple d’un programme sain. Ceci permettre d’éviter de nombreux retours en arrière, compromis de dernière minute et changements désespérés -- problèmes qui surgissent trop souvent lorsque les planificateurs se préoccupent d’un ou de deux besoins, mais oublient le troisième. De même, cette approche rendra possible une administration plus agressive et positive d’un plan. En réexaminant l’étude de son cas, Lawrence observait qu’une attaque multi-dimensionnelle aurait aidé les dirigeants à « maintenir un sens de cohérence dans leur comportement » et les aurait préparés à « traiter les nombreuses sources de résistance. »

Voir chapitres 3, 5, 6, 7, 8, et 12.

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Loi 2: La planification effective est de la planification incomplète.

Trop de planification et d’ingénierie du détail - que ce soit de l’ingénierie « organisationnelle » ou de l’ingénierie « humaine » pour utiliser les appellations courantes -- a une influence pesante et entravante sur un programme d’action plutôt qu’une influence « lubrifiante. » Elles peuvent même condamner irrémédiablement un programme à l’échec. De ce fait, la sur-planification est de la mauvaise planification. Le diagramme suivant représente une tentative de représentation schématique de cette loi.

La forme exacte de la courbe varie bien sûr d’une situation à une autre, selon la sophistication de l’organisation en matière de planification, l’urgence perçue de planifier, la complexité du problème à planifier, et de nombreux autres facteurs. Mais la notion générale qui est décrite devrait rester valide dans la plupart des situations.

Pourquoi la planification effective est-elle de la planification incomplète? Les raisons ont trait au côté humain et peuvent être déduites du matériel présenté auparavant. Tout d’abord, un programme qui est prévu jusqu’au dernier détail dénie aux personnes plus bas dans la hiérarchie ce qu’elles souhaitent le plus -- un sens de participation dans le programme, un « morceau de l’action. » Au cours d’un voyage Apollo vers la lune, il est attendu des astronautes qu’ils agissent comme des robots améliorés et aucun détail qui puisse être anticipé n’est laissé au hasard. Mais ceci est en fait un triomphe d’ingénierie (bien que nous puissions le considérer comme une prouesse de planification dans une discussion de néophytes). En développant des buts pour un programme Apollo et en assignant des équipes de scientifiques, d’ingénieurs, d’experts en comportement, d’astronomes et d’autres pour produire un véhicule et le lancer -- c’est là ou s’accomplit la vraie planification -- une grande liberté est laissée aux personnes impliquées, et la planification est bien entendu incomplète.

En second lieu, si un programme est conçu pour produire le changement, il va sans aucun doute produire l’inattendu en chemin. Ceux qui le mettent en œuvre vont faire face à des problèmes nouveaux ou inconnus à résoudre. De ce fait, si le planificateur essaye de spécifier en avance comment traiter l’inattendu, il va à l’encontre de son propre but. Un éditeur que je connais observe: « Par l’une de ces petites ironies existentielles qui nous poussent à rester sur la pointe des pieds, plus un planificateur est sophistiqué, plus son plan est solide et complet, plus il fait preuve d’inertie et de stupidité face à la surprise, et plus il inhibe de réponses saines chez l’individu qui est saisi par la surprise. »

On a récemment demandé à Erza Merrill, le dirigeant de H. P. Hood & Sons, de commenter un cas de panification publié par le Harvard Business Review. Le cas concernait les efforts d’un nouveau président d’entreprise pour formuler des stratégies explicites pour une entreprise qui avait précédemment été dirigée de manière ad hoc par son fondateur. La critique de Merrill est révélatrice. Il suggère quelques étapes à suivre par le nouveau dirigeant afin de faire que ses directeurs pensent plus en termes de planification stratégique, et il recommande des séances de « brainstorming » consacrées à des questions « et si ... » afin que les personnes de l’organisation entament des préparatifs sur la façon dont elles traiteront elles-mêmes les surprises. Mais Merrill est manifestement contre le fait d’avoir des plans détaillés établis pour guider les managers. Il remarque:

La planification stratégique contient sa part de magie et plus qu’un peu de chance, et elle ne doit jamais être prise trop au sérieux. Je veux dire par là que bien que l’exercice soit essentiel, sa qualité dépend de l’étincelle créative qui est créée, et les planificateurs doivent toujours être alertes et rechercher la circonstance imprévue, incluant peut-être même des déviations, qui enrichira leur contribution bien au-delà de leur planification planifiée à son meilleur.

See Robert Mainer, "The Case of the Slippery Strategy," May-June, 1968 p. 180.

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Corollaire 2 A: La quantité optimale de détail est à peu près proportionnelle à l’expérience de l’organisation en matière de planification.

Si l’agence gouvernementale ou l’entreprise est une nouvelle venue à la planification, le sommet de la courbe en figure 1 doit être déplacée vers la gauche. Une telle organisation ne peut avoir ni les compétences ni une tolérance intrinsèque pour la planification, et les planificateurs devront avancer lentement aussi bien sur le champ que sur le contenu des programmes de changement. Robert Schaffer de la firme Robert Schaffer & Associates à Stanford, Connecticut est le défenseur le plus en vue de cette conviction. Dans une grande variété de situations -- hopitaux, petites entreprises, grandes entreprises ou autres organisations qui en sont à leurs débuts en matière de planification -- il a démontré combien la planification est plus efficace si elle commence par les problèmes immédiats, les soucis d’aujourd’hui plutôt que ceux de demain. Alors et seulement alors l’organisation commence à développer la capacité d’envisager des stratégies plus ambitieuses et des programmes de changement.

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Corollaire 2 B: Moins les subordonnés d’un planificateur sont capables et dignes de confiance, et moins celui-ci peut planifier de quelque façon que ce soit.

Ceci vient du fait qu’il doit surveiller et diriger les activités de ces subordonnés si étroitement qu’il ne peut leur allouer la liberté requise s’il doit diriger un programme important ou ambitieux. L’argument le plus fort en faveur de la ''Théorie Y'' de Douglas McGregor -- l’approche libérale et relativement généreuse au partage de l’autorité -- est qu’elle force les leaders de l’organisation soit à donner aux subordonnés un « morceau de l’action, » soit à choisir des subordonnés en qui ils peuvent avoir confiance et à qui ils peuvent donner la liberté, créant ainsi une condition essentielle à la planification vigoureuse. Par la même occasion, la critique la plus dommageable à la "Théorie X" -- la philosophie de contrôle étroit, rigide et régimenté -- est la perte qu’elle représente en possibilité de planification. 4

4 Douglas McGregor, The Human Side of Enterprise (New York, Mc-Graw-Hill Book Company, Inc., 1961).

(Il est à remarquer, au passage, que l’inverse de ce corollaire n’est pas vrai. Par exemple, les astronautes d’une mission Apollo vers la lune sont des personnes aussi capables et dignes de confiance que l’on puisse trouver, et pourtant leur mission doit être largement plus « programmée » que planifiée. Ceci vient du fait que le nombre relativement faible de surprises qu’ils peuvent rencontrer sont si cruciales.)

Voir chapitres 3, 1l, et 13.

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Loi 3: Tout plan bien conçu est obsolète au moment ou il est utilisé.

Ceci vient du fait que toute organisation dans la société moderne est constamment en changement. Les conditions qui l’entourent changent, les problèmes varient, les personnes qui la composent deviennent plus vieux ou plus jeunes, etc. De ce fait, si un plan est parfaitement ajusté aux conditions au moment ou il est conçu, il sera désaccordé avant même que le premier effort soit fourni pour le mettre en œuvre. S’il est conçu pour être en accord avec les conditions telles qu’elles sont anticipées d’ici cinq ans, il est aussi obsolète après la première semaine car chaque condition ne peut en aucun cas être anticipée correctement et la chaîne d’évènements conduisant aux erreurs est déjà en marche.

La validité de cette loi ne repose pas seulement sur les réalités humaines ou matérielles de la planification mais sur l'interaction entre les deux. Duncan E. Littlefair observe: "La vie n’est pas quelque chose qui se construit systématiquement, en ajoutant un morceau ici et là. Si vous touchez une partie quelconque d’un organisme, vous touchez son ensemble. Vous faites un petit changement, et vous changez l’ensemble dans une certaine mesure. "5 Ceci s’applique aussi bien aux organisations qu’aux individus.

5 "The More Things Change, " Fountain Street Church, Grand Rapids, Michigan, February 25, 1968.

Le mouvement de la planification dans les nations industrielles serait grandement amélioré si cette limitation chronique à la planification pouvait être plus largement appréciée. De quand datent les espoirs Utopiques en matière de planification est quelque chose que j’ignore -- probablement du début du dix-neuvième siècle, sinon d’avant. D’une façon comme d’une autre, ils persistent, handicapant le planificateur en faisant peser sur lui un fardeau impossible. « Je suis affligé à jamais, » écrivait Arthur D. Trottenberg, qui avait été un planificateur de la faculté pour l’Université de Harvard, « par la recherche éternelle pour un ‘plan d’ensemble’ -- cette merveilleuse ordonnance permanente de personnes, argent, espace, et immeubles, dans lequel chacun aurait un fauteuil Roche-Bobois, une place de parking, et les trains seraient toujours, toujours à l’heure. »6

6 Harvard Alumni Bulletin, November 7, 1964.

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Corollaire 3 A: Le seul plan qui peut être 100 pour cent à jour est un plan qui a été conçu dans l’erreur.

Par exemple, les planificateurs peuvent avoir pensé qu’une réduction de coûts de 10 pour cent était réaliste; elle n’était en vérité pas réaliste alors et aucun changement de circonstance n’était prévisible, mais l’inattendu peut s’être produit qui a fait qu’une réduction de 10 pour cent est devenue envisageable.

Voir chapitres 2 et 3.

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Loi 4: Planifier crée de l’antiplanification.

Les actes mêmes de planification, même de planification hautement compétente et d’efforts additionnels de planification une fois le processus établi, créent de nouvelles « unités » d’antiplanification. Ces « unités » ne sont pas mesurables, et donc le terme doit être utilisé en tant que métaphore. Mais la situation est similaire à la loi physique de Newton selon laquelle pour chaque force il y a une réaction égale et opposée; c’est-à-dire que pour chaque force de planification qui peut être trouvée il y a une réaction opposée ou force d’antiplanification. On pourrait spéculer que si l’on pouvait mesurer cette force, on constaterait qu’elle est égale ainsi qu’opposée à la force de planification.

Bien que nous ne puissions pas mesurer la réaction d’antiplanification, nous savons qu’elle existe. Les formes courantes de l’évidence sont des délais causés par l’homme à des programmes hautement nécessaires, l’hostilité envers de nouveaux actes de planification, l’hostilité envers les planificateurs, de vagues manifestations de mécontentement vis-à-vis d’un programme, des délais irraisonnables dans sa mise en œuvre, des démissions inattendues -- symptômes qui sans aucun doute sont fréquemment attribués à des erreurs de planification ou à un mauvais management, mais pas toujours, et qui donc représentent quelquefois des phénomènes plus basiques, puisqu’ils semblent toujours exister et ne jamais être totalement éliminés.

Dans un chapitre précédent, nous avons vu plusieurs raisons pour lesquelles les employés résistent à la planification -- peur de ses implications, hésitation à abandonner des routines opérationnelles, et souci pour les risques associés aux nouveaux programmes. Même si ces sentiments n’existaient pas, l’antiplanification serait toujours produite du fait d’instincts basiques inhérents à la nature humaine. Trois d’entre eux en particulier doivent être notés. Tout d’abord, un membre de l’organisation attire l’attention sur lui en réagissant négativement à des actes positifs de planification. Son opposition est une méthode subtile d’affirmer son individualité. Selon sa maturité et sa compréhension de soi, il peut supprimer la tentation de s’opposer et, a toutes fins utiles, coopérer vigoureusement à des projets de planification. Il ressent néanmoins la réaction négative et l’héberge d’une certaine façon. Elle peut surgir à nouveau un jour quelconque sous une forme totalement différente, tel que l’insatisfaction de la vie organisationnelle, ou un désir de changer de travail, ou l’animosité envers telle ou telle personne.

Deuxièmement, une réaction négative à un acte positif de planification satisfait la tendance naturelle à blesser le planificateur. C’est une façon de se « venger » sur lui; c’est une arme. Ici encore, la réaction peut être si complètement internalisée qu’elle n’interfère pas avec la coopération -- mais elle ressurgira d’une certaine façon, à un certain moment, et le fait même de l’héberger fournit une certaine forme de satisfaction. (Ce désir de blesser est, bien entendu, tout à fait similaire au désir de blesser un parent, un ami, un être cher que connaît tout psychologue.)

Troisièmement, des réactions négatives à des actes positifs de planification satisfont le désir d’éviter la responsabilité et d’échapper aux tensions qui vont de pair avec la responsabilité. Le management fait peser des charges considérables sur l’individu lorsqu’il s’y implique, et la planification en tant que méthode avancée de management fait peser sur lui des charges particulièrement lourdes. Même les meilleurs managers se rebellent contre ces charges de temps en temps. Les explosions peuvent ne pas révéler tous ses « anti-sentiments » contre la planification ou plus qu’une fraction d’entre eux; si c’est le cas, ses sentiments seront certainement canalisés d’une autre façon.

Certains lecteurs reconnaîtront une similitude entre ce qui précède et le « désir de mort » tel qu’il est décrit par les psychologues et les philosophes. L’argument présenté est en fait adapté à partir de la psychologie. L’antiplanification sous-jacente est la même tendance profond à l’extinction et à la tragédie que celle qui a été observée dans de nombreux aspects des rapports humains. L’antiplanification est simplement le désir de mort appliqué à la vie organisationnelle, sans planification, l’organisation devient plus facilement victime dans un monde difficile. Nous ne comprenons pas ce désir de mort, remarque Littlefair. Il ajoute:

Nous offrons des solutions mythiques pour justifier notre culpabilité, mais il y a chez l’homme en tant que créature naturelle quelque chose qui répond à l’extinction, à de plus bas niveaux, et à la mort. Les hauteurs auxquelles nous nous sommes élevés sont des hauteurs périlleuses, et elles requièrent toute la détermination et l’énergie et l’intelligence que nous pouvons rassembler pour nous y maintenir. Nous nous fatiguons et nous recherchons des niveaux toujours plus bas. Il y a en l’homme quelque chose qui veut retourner à ce dont il vient, la grande mer indistincte et inconnue d’inconscience. 7

7 « Strange Defeat, » Fountain St!eet Church, Grand Rapids, Michigan. January 14, 1968.

Les hauteurs auxquelles se réfère Littlefair ne sont nulle part aussi périlleuses que dans l’organisation moderne, avec les exigences implacables qu’elle fait peser sur l’individu de plus de productivité, d’amélioration, de détermination et, en même temps, de coopération sociale et d’autodiscipline.

Il doit être rajouté au passage que l’opposé de cette loi n’est pas valide; c’est-à-dire que l’antiplanification ne crée pas de planification.

Voir chapitres 4 et 12.

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Loi 5: Le planificateur qui est effectif sur une période de temps significative a un pouvoir politique.

Si le leader de la planification n’est pas capable d’obtenir que les autres fassent ce qu’il veut (c’est ce que nous voulons dire par pouvoir), la planification ne peut pas représenter grand chose dans l’organisation pendant bien longtemps. Même si elle satisfait les ambitions les plus élevées de l’homme -- de créer, d’accomplir, d’atteindre la plénitude, de vivre avec l’excitation du challenge -- elle représente une trop grande menace pour le statu quo et « l’establishment » pour survivre grâce à ses seuls mérites en tant qu’idée. La planification ne peut connaître que des victoires sporadiques sans le soutien du pouvoir. Par exemple, les membres d’une organisation peuvent y souscrire volontairement pendant une période de crise ou lorsqu’ils sont sous le charme d’un planificateur qui est un super-vendeur. Mais une fois le charme passé, la planification est finie.

Pour pouvoir prédire le rôle et le devenir futurs de la planification dans une entreprise, organe de gouvernement ou armée, vous devez donc déterminer qui est le leader de la planification (c’est à dire la personne du plus haut rang qui consacrera un temps et une énergie substantielle à établir des buts et des programmes et à s’assurer de leur exécution). Si c’est une personne qui a un pouvoir politique significatif, vous pouvez raisonnablement prédire un rôle influent pour la planification si elle utilise le pouvoir de manière informée. Mais si c’est une personne qui ne dispose pas de ce pouvoir -- qui opère principalement en capacité de conseil, par exemple, ou qui a un statut important mais ne peut pas « faire bouger » les autres décisionnaires -- alors vous pouvez considérer que le potentiel de la planification est faible dans cette organisation. Vous pouvez conclure ceci même si le leader de la planification occupe un cadre valorisant sur l’organigramme et est intelligent, perceptif, informé et consciencieux.

Voir chapitres 9, 10, 12, 13, et 14.

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Loi 6: Une bonne planification ne réussit pas toujours.

La raison est qu’il y a trop d’autres « variables, » trop d’évènements en dehors du pouvoir du planificateur qui peuvent entraver ou déranger le programme le plus ingénieusement conçu. En fait, nous pourrions aller plus loin et dire que la planification de devrait pas toujours réussir. Les bons plans acceptent les risques, et donc certains échouent nécessairement. Si une organisation a 100 pour cent de chances de succès dans l’accomplissement de nombreux programmes, vous pouvez être raisonnablement certain qu’elle n’a pas pris de risques et donc qu’elle « ne joue pas dans la cour des grands » en termes de planification.

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Corollaire 6A: La mauvaise planification n’échoue pas toujours.

Un programme peut être basé sur des suppositions indéfendables; ou certaines d’entre elles peuvent être incohérentes; la pensée qui les sous-tend peut être simpliste. Mais toutes ces erreurs seront oubliées dans les livres d’histoire si le destin est suffisamment favorable au projet.

Un cas classique qui illustre ceci est l’invasion d’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Si, début Septembre 1066, Guillaume avait examiné les défenses navales organisées par le Roi Harold d’Angleterre, il aurait découvert une formidable flotte patrouillant la manche. Cette flotte, qui avait patrouillé tout l’été en anticipation d’une invasion Normande aurait pu détruire la flotte de Guillaume. Manifestement, dans sa planification, Guillaume aurait dû envoyer de nombreux éclaireurs et établir dans le détail comment opérait la flotte du Roi Harold. Mais il ne le fit pas; il lança simplement son invasion aussitôt qu’il le put sans aucune vérification. Son armée arriva en Angleterre le 25 Septembre sans problèmes car, sans qu’il en ait rien su, les vaisseaux de Harold étaient retournés à Londres et à leurs autres ports peu avant. Il semble que Harold avait permis que sa flotte retourne chez elle car elle s’ennuyait du fait de l’inactivité et menaçait de se mutiner. De plus, les délais de l’invasion Normande avaient conduit Harold à croire par erreur que Guillaume avait abandonné son plan. Guillaume n’avait aucun de ces renseignements lorsqu’il a pris la mer. (Sur d’autres points, comme nous l’avons vu plus tôt, Guillaume avait cependant fait sa planification correctement.)

Voir Chapitres 2 et 4.

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Loi 7: Le fait même de planifier change la situation dans laquelle l’organisation évolue.

Cette loi, qui défie toute logique et mystifie les penseurs analytiques, peut être démontrée pratiquement à n’importe quel moment dans un groupe de travail ou une entreprise d’à peu près n’importe quelle taille. Elle veut dire que les managers peuvent altérer les conditions qui affectent le progrès de leurs programmes -- peuvent en fait modifier les probabilités de succès en impliquant les personnes dans des activités de planification aussi routinières que de discuter de quels programmes sont souhaitables, se demander qui devrait assurer le déroulement des programmes et quand, rassembler des données sur ces questions, guider l’organisation à atteindre l’accord sur les buts et les programmes, et guider les personnes à prendre des engagements personnels pour les projets.

Cette septième loi fait référence au fait que si les personnes sont convaincues qu’un certain but est réalisable, elles trouveront des moyens de l’atteindre qui leur paraîtront dignes d’y travailler, quelque soit la futilité de ces moyens aux yeux de toute autre personne. Si elles en viennent à penser qu’un certain programme d’action est prometteur, elles trouveront le dur travail de préparation gratifiant, quoi qu’elles aient pu penser de ridicule du dur travail de préparation avant d’être convaincus de l’intérêt du programme. Si elles croient que l’on peut confier plus de responsabilités à certaines personnes comme moyen de faire fonctionner un plan, elles verront plus de démonstration de responsabilité dans la façon dont les individus font leur travail, même si des observateur éduqués qui n’ont pas cette conviction ne voient aucune évidence de ce genre dans les habitudes de travail des individus.

Bien sûr, il n’y a ici rien de nouveau; ce fait a été couramment décrit comme « self-fulfilling prophecy, » « self-validating belief, » ou encore « la méthode coué. » Ce qui est moins connu, c’est qu’il s’applique avec une force toute particulière à la planification. Par sa nature même, planifier implique de changer l’image que les personnes ont de la réalité et de changer leurs visions du futur. Les personnes voient leur organisation, leurs collaborateurs, les opportunités pour leurs groupes de la façon dont ils désirent les voir, et planifier est une manière d’altérer ces désirs. Les personnes influencent la destinée de leurs organisations par les attitudes et considérations qu’ils adoptent, et planifier constitue une façon de « vendre » certaines attitudes et les considérations.

Dans un sens, cette loi de la planification est la plus remarquable. Elle veut dire que les leaders peuvent « se soulever eux-mêmes par leurs bretelles » -- se faire progresser au moins un peu vers leurs buts en changeant simplement, par la planification, leurs propres perceptions et celles des autres de la réalité et des possibilités. On peut découvrir plus tard que le plan était erroné, ou des erreurs et événements intervenant plus tard peuvent le rendre irréalisable, mais même alors, l’échec sera perçu d’une façon différente du fait des actes de planification initiale. Une partie de la planification la plus tragique et erronée de l’histoire a réussi, malgré toutes ses erreurs, à causer des dégâts considérables dans le monde précisément pour cette raison., parce que les processus auxquels les personnes avaient été incitées à participer changeaient leurs perceptions du but du travail, de la réalité et de l’échec. Observons la conviction qui a conduit pendant si longtemps l’armée Rouge à atteindre les objectifs de Mao et l’a rendu insensible aux centaines de signes de la futilité, de l’impossibilité et de l’irréalité de ses programmes.

Un exemple plus heureux est une entreprise militaire Américaine qui a accompli un objectif apparemment impossible face à de nombreux obstacles. J’ai demandé à de nombreux leaders de l’entreprise combien de leur succès retentissant ils attribuaient à la planification. « Une partie, mais pas beaucoup, » m’ont-ils répondu. « Notre planification n’était pas très bonne, et nous la changions tout le temps. » Puis il réfléchissaient plus avant et se reprenaient. « Mais planifier nous faisait penser positivement, » ajoutaient-ils, « et cela était tout. Nous travaillons en revenant en arrière à partir d’une cible en petites étapes pour voir ce qui avait besoin d’être fait, puis nous regardions une étape à la fois et décidions que nous pouvions le faire si nous essayions vraiment. Nous finissions par nous convaincre que nous ne pouvions pas échouer. » Planifier altérait leurs perceptions à un point tel qu’ils se lancèrent dans une tâche qui était « impossible » à accomplir! De nombreux accomplissement étonnants par des entreprises industrielles pourraient être expliqués dans des termes pratiquement identiques.

Voir chapitres 7, 8 et 12.

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Avancées Futures

La percée à venir viendra du côté humain. Elle viendra parce que les planificateurs persistent à approcher la dimension humaine de la même façon basique que la façon qu’ils ont apprise d’approche les dimensions matérielle et contractuelle.

En finance, production, distribution, relations industrielles, et autres domaines concomitants, la planification a été utilisée par les leaders d’organisations comme un instrument pour avoir eux-mêmes et leurs équipes une meilleure prise sur la réalité. Planifier a été utilisé comme un outil pour analyser les prospects et les possibilités, pour montrer ce qui a besoin d’être fait de façon réaliste pour avancer sur une distance souhaitée dans une direction souhaitée. Le Directeur Financier ne généralise pas, « je suppose que nous pouvons obtenir assez d’argent pour soutenir cette expansion planifiée de moyens de production, » ce qu’il aurait pu faire sans la discipline de planification. Au lieu de cela, il parle avec les personnes de l’entreprise et les prêteurs, il projette les cash flows probables, les taux d’intérêts, les risques, les contingences et d’autres facteurs; il utilise des formules, des ordinateurs et peut-être de la simulation; il trace un modèle mois par mois des possibilités que l’entreprise soit en fait probablement capable de financer l’expansion envisagée.

Par contraste, en ce qui concerne la dimension humaine, nous avons tendu à suivre une approche primitive, nous satisfaisant de généralités préconçues telles que « un plan qui est bon pour l’entreprise est bon pour tous les employés » ou « nos équipes vont être sous pression, mais elles produiront si on leur explique le problème. » De telles généralisations hâtives masquent les faits humains au leader de la planification tout comme « je suppose que nous pouvons obtenir assez d’argent » lui masquerait des faits financiers vitaux. La dimension humaine doit être analysée. Quels individus et quels groupes seront approchés? Quand et dans quel ordre? De quelle manière et avec quels types d’incitations et de pressions? Ou se trouveront le plus probablement les « personnes à problèmes, » et quelles décision pourrions-nous prendre maintenant qui pourraient soulager ou aggraver ces problèmes? Que nous apprend l’expérience d’autres organisations ou entreprises sur le fait de planifier de telle ou telle façon?

Une telle approche analytique du côté humain n’offre aucune garantie de succès lorsque l’on entreprend. Ce qu’elle offre est l’assurance que les réalités seront mieux appréhendées -- idéalement un éventail plus vaste et plus profond de réalités qu’il ne serait possible sans planifier. Car c’est bien de cela qu’il s’agit en matière de planification: penser en avant en termes de réalités au lieu de fantaisies. L’organisation énergique peu aujourd’hui choisir parmi une infinie variété d’opportunités bien réelles. Dans pratiquement tous les domaines -- dans l’industie, l’éducation, le gouvernement, la santé -- les possibilités sont suffisament vastes pour que les organisations puissent devenir ce qu’elles choisissent de devenir.

La bataille de Waterloo a été gagnée sur les terrains de jeux d’Eton.

Arthur Wellesley, Duc de Wellington

 

Traduit par Eric de Rochefort

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